
Quand les violences à l’école font la une, ce sont le plus souvent celles qui impliquent des élèves. Les voix de celles et ceux qui rejettent les mesures démagogiques et sécuritaires se retrouvent vite inaudibles. Tant de spécialistes, d’éditorialistes, de ministres, savent mieux que les personnels ce qu’il convient de faire. Une autre forme de violence est, elle, complètement passée sous silence.
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, et celle de J.-M. Blanquer au Ministère de l’Éducation nationale, la profession est plus que jamais attaquée par une politique qui a pour objectif de déposséder de leur métier les personnels enseignants (entre autres, car il faudrait parler aussi, par exemple, des CPE ou des PsyEN, appelés autrefois « conseiller·e·s d’orientation »). C’est une politique d’une très grande violence, comme je n’en ai jamais connue jusqu’à présent, même à l’époque de Nicolas Sarkozy, même avec la précédente réforme du lycée.
La violence gestionnaire
Elle saute aux yeux en ces mois de janvier et février avec les discussions dans les collèges et les lycées autour des DHG (dotations horaires globales). Tous les jours on peut lire sur les réseaux sociaux des témoignages accablés et accablants : classes fermées, effectifs par classe en hausse, explosion des heures supplémentaires, postes supprimés... Les listes de diffusion syndicales égrènent la même sinistre litanie.
La logique d’économies budgétaires n’est pas nouvelle. Elle avait déjà accompagné il y a dix ans la réforme Châtel des voies générale et technologique, et celle du baccalauréat professionnel en trois ans. La perversité de ces précédentes réformes, comme de celle du collège en 2016, comme du nouveau lycée Blanquer, est d’avoir employé deux outils redoutables pour que les personnels soient conviés à participer à leur propre maltraitance : l’autonomie et la « marge ». Quand les établissements reçoivent l’enveloppe d’heures qui doit leur permettre d’assurer tous les cours à la rentrée suivante, ils disposent d’une « marge » qu’ils répartissent comme ils veulent, pourvu que les horaires légaux dus aux élèves soient respectés. C’est la logique de l’autonomie de l’établissement – bien plus souvent, du chef d’établissement, manager agile qui doit faire avaler la pilule des choix ministériels et rectoraux. Cette marge est censée permettre des groupes allégés, des projets pédagogiques, et même, dans le cas de la réforme Blanquer, des enseignements optionnels facultatifs.
En ce moment, dans les salles des professeurs, on ne parle que de cela : « et vous, dans votre matière, vous gardez vos dédoublements ? » « le poste de X est menacé ! » « On ne va pas pouvoir garder l’option théâtre »... Les personnels de direction procèdent assez souvent aux arbitrages après avoir consulté les équipes pédagogiques. Mais c’est une comédie dont personne n’est dupe. On peut devoir fournir un argumentaire, voire un projet écrit, afin de justifier l’attribution de quelques heures pour continuer à « bénéficier » de demi-groupes (insigne privilège !) Le projet de faire son travail correctement ne suffit pas, bien entendu. Qui n’a pas besoin de conditions de travail décentes ? Qui souhaite n’enseigner qu’à des classes de 35 élèves ? Comment ne pas se retrouver en concurrence avec ses collègues, dans un contexte de gestion de la pénurie ? Qui va oser réclamer "ses" heures, quand le poste d’un·e collègue est mis en danger ? C’est bien l’institution, le Ministère, qui est responsable de cette forme de violence. Il veut, en outre, faire « absorber » un volume très important d’heures supplémentaires, afin de parvenir à supprimer des postes.
Derrière la froideur du langage gestionnaire, des personnes, des engagements, des conditions de travail, un collectif professionnel éparpillé façon puzzle, et des vies qui basculent. (...)