
Pour plus de 3 millions d’euros, une héritière a acheté un corps de ferme et 15 hectares de terres cultivables aux portes de Biarritz. Des paysans occupent le terrain, revendiquant son usage agricole. Les élus veulent faire annuler la vente. « Nous n’avons pas été suffisamment vigilants dans le passé à la préservation des terres agricoles », reconnaît le député Vincent Bru.
Cela aurait pu n’être qu’une histoire de plus d’accaparement de terres agricoles par des acheteurs fortunés. Mais des organisations paysannes ont décidé, au cœur de la saison estivale, d’en faire le terrain d’un bras de fer politique.
Soutenus par un large panel d’élus et parlementaires, toutes tendances politiques confondues, des militants du syndicat agricole ELB (branche basque de la Confédération paysanne) et de l’association Lurzaindia (pour la protection du foncier agricole) occupent, depuis un mois et demi, 15 hectares de terres cultivables qui ont été vendues, aux portes de Biarritz, au prix exorbitant de 3,2 millions d’euros.
Les surfaces foncières en question, situées dans la commune d’Arbonne et qui comprennent trois bâtis (dont une grande maison de 350 m2 d’emprise au sol), ont été rachetées par une riche héritière souhaitant notamment profiter des terrains pour y installer ses chevaux de course.
Alors que la côte basque, soumise à une forte pression foncière, manque d’espaces permettant de développer le maraîchage, la Safer, qui a estimé l’ensemble à 800 000 euros, n’a pas pu exercer son droit de préemption en révision de prix, pourtant prévu par le Code rural dans un objectif d’intérêt général.
Cet état de fait a orienté la mobilisation vers un double objectif : à court terme, réussir à faire annuler la vente d’Arbonne en accentuant la pression politique ; tout en cherchant, par l’amélioration de la loi, à corriger les failles juridiques dans lesquelles peuvent s’engouffrer des acquéreurs pour détourner des surfaces agricoles de leur objet. (...)
Le 23 juin, une soixante de militants d’ELB et de Lurzaindia entrent dans la propriété privée et commencent une occupation du terrain pour une durée indéterminée. Trois semaines plus tard, ils décident d’investir le principal bâtiment de la parcelle pour durcir le mouvement. « On avait le sentiment que le propriétaire et l’acquéreur jouaient le pourrissement de la situation », justifie Maryse Cachenaut.
Depuis, les terrains occupés sont quotidiennement le théâtre de conférences, repas, concerts, marché de producteurs, journée pour les enfants, etc. L’espace permet aussi de coordonner des actions coups de poing (...)
Les militants dénoncent le prix de la vente, « purement spéculatif », l’usage qui sera fait du foncier, « des terrains d’agrément au détriment de l’agriculture nourricière », mais aussi l’impossibilité pour la Safer de préempter le terrain à sa juste valeur.
En effet, la situation est le fruit d’un vide juridique sur lequel reposent, tous les ans, plusieurs transactions similaires : puisque les bâtiments inclus dans la vente n’ont plus d’usage agricole depuis au moins cinq ans, le Code rural ne permet pas d’exercer une préemption simple, en révisant le prix à la baisse pour qu’il corresponde à la valeur du marché. La seule possibilité pour la Safer est dans ce cas de procéder à une préemption partielle des terrains agricoles.
Le vendeur a alors la possibilité d’accepter cette préemption partielle, mais aussi de demander à être indemnisé de la perte de valeur des biens non préemptés, ou d’exiger que la Safer se porte acquéreuse de l’ensemble des biens. « Dans le cas d’Arbonne, c’est impossible de tout acheter, car cela reviendrait à valider un prix spéculatif », proteste Maryse Cachenaut. (...)
La Safer a tout de même déposé, fin juillet, une demande de préemption partielle pour 11,2 des 15 hectares de terres agricoles (dissociées des bâtiments), qu’elle a estimés à 100 000 euros. Sans grand espoir, même si le vendeur n’a pas encore donné sa réponse (il a deux mois pour le faire). « Il n’y a que 10 % des cas en France où le vendeur accepte », précise Maryse Cachenaut. (...)
« Cette affaire illustre très bien ce que sont les limites du pouvoir des maires et des documents d’urbanisme. Nous sommes dans une zone agricole, mais cela ne suffit pas », réagit Jean-René Etchegaray (UDI), maire de Bayonne et président de la communauté d’agglomération Pays basque (158 communes), qui est venu soutenir les occupants sur place, le 31 juillet.
Dès le début de l’opération, 8o des 158 maires du territoire ont apporté leur soutien officiel, tandis qu’une pétition en ligne rassemble à ce jour environ 28 000 signataires. « On est dans un combat politique, il faut bien le reconnaître, car les outils juridiques ne sont pas à la hauteur des enjeux », justifie Jean-René Etchegaray. (...)
Sollicité par Mediapart, l’avocat de Diane de l’Espée n’a pas retourné notre demande d’entretien. Même silence du côté du conseil du vendeur, Yves Borotra. (...)
Dans une région où les mobilisations agricoles ont parfois été sévèrement réprimées, l’occupation de la propriété n’a, à ce stade, donné lieu à aucune intervention policière. (...)
« On parle de circuit court, de souveraineté et sécurité alimentaires, mais le Pays basque est confronté à une rareté des terres agricoles, notamment pour le maraîchage, dont nous sommes aussi responsables. »
Vincent Bru, député Modem
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En février 2020, la communauté d’agglomération a voté un « Projet alimentaire » visant notamment à protéger le foncier alimentaire, mais de fortes disparités demeurent dans le volontarisme politique des communes. (...)