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La nouvelle politique agricole commune abandonne les paysans au néo-libéralisme
Marc Humbert est professeur à l’université de Rennes 1.
Article mis en ligne le 15 mars 2017

Lors de sa création, en 1962, la politique agricole commune (PAC) européenne visait le dynamisme de l’agriculture et l’autosuffisance alimentaire en limitant les variations des prix. Las, explique l’auteur de cette tribune, les réformes successives et celle de 2020 renforcent la libéralisation économique, poussant encore à l’industrialisation de l’agriculture.

La politique agricole commune (PAC), créée en 1962, constitue un archaïsme aux yeux des néolibéraux adeptes de la libre concurrence non faussée. Elle serait, selon eux, le vestige d’une époque obscurantiste :

  • une politique de protection sociale transformant les agriculteurs en assistés ;
  • une politique de régulation du commerce extérieur handicapant l’innovation et la compétitivité ;
  • une politique discriminant une catégorie de produits alors que les mêmes lois économiques doivent s’appliquer partout.

De fait, la PAC applique un traitement particulier à l’agriculture parce que celle-ci assure notre alimentation. Il s’agit donc de la production la plus essentielle, un enjeu politique et social qu’on ne peut soumettre au libre marché. Et un enjeu écologique que la PAC 1962 n’avait pas pris en compte. (...)

les prix agricoles laissés au libre fonctionnement de l’offre et de la demande sont très volatils. De fortes baisses alternent avec de fortes hausses, du fait des variations climatiques (sécheresses, intempéries, etc.) et des maladies opportunistes. Cette volatilité attire aussi les spéculateurs, qui accentuent les variations. Les marchés ne se rééquilibrent pas automatiquement et, s’ils peuvent éventuellement le faire à un certain terme, les agriculteurs sinistrés ont entretemps disparu.

La logique néolibérale a balayé ces considérations. Les États-Unis ont exigé en 1986 d’aller vers la libéralisation des échanges agricoles et la fin des subventions à l’agriculture. Ce projet a été acté avec l’OMC (Organisation mondiale du commerce), créée en 1995. L’Europe consentante a commencé, dès 1992, à démanteler la PAC. (...)
La PAC 1962 avait pourtant réussi l’essentiel : le dynamisme de l’agriculture, l’autosuffisance alimentaire, et même au-delà. Elle avait trouvé le moyen de limiter les excédents et leurs effets sur les prix en introduisant par exemple, dès 1984, des quotas laitiers. La modération de la volatilité des prix du lait a été stoppée avec l’abrogation des quotas, qui a eu lieu en 2015.

Le projet de la PAC 2020 constitue la dernière étape de démantèlement. Il n’est plus question de réguler les marchés, mais de laisser les exploitations européennes s’insérer dans la dynamique compétitive mondiale, les laisser grandir, s’automatiser pour gagner des parts à l’exportation. (...)

La PAC néolibérale n’assumera ni la responsabilité directe de ce que peut être la production française, européenne, pour assurer la souveraineté alimentaire, ni la responsabilité d’un soutien aux exploitations agricoles et à leur pérennité. Son action se limitera — pour un temps — à aider les agriculteurs à s’assurer personnellement contre les risques climatiques, sanitaires, économiques, auprès de compagnies privées. Depuis 2010, la PAC-France a ainsi pris en charge 65 % du montant des primes payées par les agriculteurs dans le cadre d’assurance climatique des grandes récoltes (céréales, betteraves, pommes de terre). Le projet s’inspire de la loi agricole états-unienne de 2014 qui vise à étendre le système assurantiel privé à tous les risques.

Les primes sont trop chères pour les petits agriculteurs, et n’ont aucun effet sur l’évolution des marchés et des prix. La pression à la compétitivité et à la baisse des prix par la libéralisation des marchés est forte et devrait conduire à une croissance de la taille des exploitations, à la réduction de leur nombre, au développement de l’automatisation des processus d’élevage et de culture. Cela renforcera la monoactivité industrialisée peu favorable à la biodiversité, tout en augmentant le risque sanitaire.

Cette manière de faire est évidemment aveugle aux questions de la politique de l’eau, de l’irrigation, qui peuvent réduire les risques climatiques. (...)

Pour l’essentiel, l’agriculteur français moyen est laissé à lui-même et plus du tiers de ses collègues vivent une situation dramatique avec moins de 350 euros par mois pour vivre. En 2016, deux d’entre eux se sont suicidés en moyenne chaque jour. Si rien de nouveau — ou de reprises des solutions anciennes — n’est fait, des dizaines de milliers d’exploitations vont disparaître et les consommateurs seront invités à se nourrir de bœuf canadien et de carottes allemandes.