Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Regards
La lutte des classes à l’heure du coronavirus
Article mis en ligne le 1er janvier 2021

Classes populaires, peuple, « délaissés », « invisibles »… Les catégories mobilisées pour incarner la contestation sociale actuelle sont nombreuses. Et la question du travail semble plus essentielle que jamais pour penser les inégalités.

« Notre vie ne vaut pas mille euros mais encore moins : 350 euros », clamaient en avril des caissières d’Auchan, demandant une meilleure prime de risque. Il faut croire que la question sociale est tenace. Certes, le nouveau coronavirus qui a conduit le gouvernement à confiner toute la population pour désengorger les services de réanimation a soudain mis entre parenthèses la longue séquence des « Gilets jaunes ». Mais la peur de la maladie n’a pas étouffé la colère. (...)

Les nouveaux héros – en majorité des héroïnes – ne se sont pas laissés bercer par les beaux discours. Applaudis tous les soirs à 20 heures, les soignants ont fustigé les manques de politiques qui n’ont pas su leur fournir assez de masques ni de tests.
Un regain des tensions

Depuis le déconfinement, la contestation s’est démultipliée. « Ni médailles, ni lacrymos. Des lits, du fric », scandaient fin mai des blouses blanches masquées devant l’hôpital Robert-Debré à Paris. À Toulouse, Brive, Bayeux ou encore Châlons, les personnels hospitaliers demandent une revalorisation des salaires, des embauches et des réouvertures de lits. À Bordeaux, ce sont les éboueurs qui se sont mis en grève pour protester contre le montant de la prime exceptionnelle, initialement fixé à cinq cents euros brut. Le travail s’est aussi ralenti dans une cinquantaine d’Ehpad du groupe Korian pour demander de meilleurs salaires et obtenir la prime.

Là-dessus est venu s’ajouter le discours du Medef demandant maintenant aux Français qui n’étaient pas « en première ligne » de sacrifier leur temps libre pour sauver l’économie (...)

Aides-soignantes, caissières, éboueurs, femmes de ménage, livreurs : le retour sur le devant de la scène de ces « cols-bleus », d’habitude invisibles, questionne. Dans la bataille intellectuelle qui se joue autour des catégories à mobiliser pour qualifier les acteurs de la contestation, la « classe sociale » – vieil outil marxiste tombé en désuétude – reprend de la vigueur. (...)

L’ubérisation de la société a ainsi achevé de défaire les collectifs de travail et d’isoler les travailleurs. Reste que la crise du Covid-19 a mis en lumière un cruel paradoxe : ce sont les métiers les plus mal payés qui se sont avérés les plus essentiels. Voilà qui pourrait, sinon réveiller une conscience de classe malmenée, du moins repositionner la focale sur le travail en matière de lutte contre les inégalités. (...)

L’embryon de conscience de classe qui a émergé du mouvement des ronds-points a été conforté par la crise sanitaire. Une conscience revisitée à l’aune d’une société postindustrielle, dans laquelle l’intérimaire partage avec l’ouvrier des conditions de travail dégradées. (...)

à en croire Alexis Cukier, le meilleur outil pour préparer le monde demain n’est autre que le travail : « Il faut le libérer de l’emprise de la finance et le démocratiser radicalement, pour le mettre au service de la révolution écologique, du soin, de l’égalité », affirme-t-il. Le fait est que les premiers de corvée forment une catégorie de travailleurs qui transcende les oppositions géographiques, entre habitants des banlieues et du pavillonnaire notamment – une transversalité analogue à celle qui a rapproché la France des Gilets jaunes et celle des quartiers populaires. Ce mouvement est aussi venu balayer les clivages horizontaux entre les salariés du privé et les fonctionnaires, les chômeurs et les travailleurs.
Une conscience en commun (...)

Le sociologue (Camille Peugny) souligne les limites de ces désignations, mais aussi leurs vertus : « De même que les "99%" renvoient à une masse dominée par une toute petite élite, ces catégories ne permettent pas de penser rigoureusement la complexité de ces inégalités qui s’articulent à des questions économiques, territoriales, de genre, d’origine raciale… En revanche, elles sont mobilisables par le politique ». (...)

ces dernières années, trois séquences successives ont mis l’accent sur les conditions de travail : la réforme des retraites, les Gilets jaunes et le nouveau coronavirus.
ces dernières années, trois séquences successives ont mis l’accent sur les conditions de travail : la réforme des retraites, les Gilets jaunes et le nouveau coronavirus. (...)

« Quand Martine Aubry, alors première secrétaire du PS, avait essayé d’introduire la notion de care, j’avais essayé de défendre l’idée que cette sollicitude devait s’appliquer à la portion des travailleurs les plus utiles qui étaient aussi les plus mal payés. De ce point de vue, ce que fait François Ruffin est exemplaire ! » Une piste à considérer sérieusement pour revisiter la lutte des classes.