
Les semences sont un champ de bataille politique souvent négligé dans les pays industrialisés comme ceux d’Amérique du Nord et d’Europe, mais pour les paysans du Sud, la bataille sur les droits des semences est essentielle à leurs moyens de subsistance.
Les semences partagées localement sont cruciales pour de nombreuses communautés rurales – « les clés génétiques de la biodiversité et de la résistance au changement climatique », comme l’affirme le chercheur Afsar Jafri, ainsi que « les archives des connaissances culturelles » et « le symbole ultime de la sécurité alimentaire ». Cependant, la capacité des agriculteurs à continuer à partager et à planter ces semences est constamment menacée par les multinationales et les États qui les soutiennent. (...)
Les semences brevetées contre les moyens de subsistance des agriculteurs
L’imposition des semences transgéniques brevetées aux communautés rurales a eu un impact catastrophique sur les moyens de subsistance des hommes et la protection de la biodiversité. (...)
En 2010, le gouvernement colombien a adopté la loi 970 dans le cadre d’un accord de libre-échange (ALE) avec le gouvernement des États-Unis. Selon les termes de l’ALE, Bogota a accordé un monopole légal aux semences produites par des sociétés étasuniennes et européennes et a contraint les agriculteurs colombiens à n’utiliser que des semences certifiées fabriquées par ces sociétés. (...)
La loi 970 n’a pas seulement précipité la hausse des prix de la production alimentaire, puisque les agriculteurs ont été contraints d’acheter des semences à des entreprises comme Monsanto plutôt que d’utiliser des semences communes ; elle a également amené l’État colombien à détruire des produits alimentaires cultivés à partir de semences conservées. Cela s’est produit en 2011 dans des villes comme Campo Alegre, où les autorités colombiennes ont fait une descente dans l’entrepôt et les camions des riziculteurs et ont détruit 70 tonnes de riz qui n’avait pas été produit conformément à la loi 970.
La criminalisation violente par l’État de la conservation des semences et de la production alimentaire localisée à Campo Alegre et dans d’autres villes a provoqué une protestation des agriculteurs à l’échelle nationale, qui a réussi à faire suspendre la loi pendant deux ans et à la réécrire. (...)
Monopoles de semences et capitalisme mondialisé
En Inde, l’imposition par le gouvernement du type d’agriculture capitaliste industrielle promu par le FMI et la Banque mondiale a entraîné des taux énormes de dépossession et de pollution – et, bien sûr, une résistance de masse, comme l’ont démontré les manifestations des agriculteurs de 2020-2021. (...)
La privatisation des semences et la criminalisation de la conservation des semences est une caractéristique clé de la poussée de l’après-guerre froide en faveur d’une mondialisation capitaliste du type de celle incarnée par les programmes d’ajustement structurel (PAS) néolibéraux préconisés par le FMI, la Banque mondiale et le Consensus de Washington. (...)
Le « projet colonial » des banques de gènes
La conservation des semences est un élément clé de la production agricole durable car, comme l’écrit le chercheur canadien Patrick Chassé, « ce processus de sélection progressive a permis de créer des landraces uniques, ou variétés de plantes bien adaptées à leur environnement ». Cependant, les pressions nationales et internationales exercées sur les agriculteurs qui conservent leurs semences sont immenses (...)
L’agriculture dans le Venezuela de Chávez
Les Vénézuéliens ont décidé d’adopter une approche totalement différente de la politique des semences. Avec l’élection d’Hugo Chávez en 1999, le développement rural et l’autonomie ont été mis en avant par des lois axées sur la réforme agraire et la redistribution des terres. En outre, la nouvelle constitution, approuvée par référendum populaire en décembre 1999, a souligné l’importance de la sécurité alimentaire « par la promotion de l’agriculture durable comme base stratégique du développement rural intégré ».
Chávez lui-même s’est élevé à maintes reprises contre les aliments transgéniques, soulignant la manière dont ce modèle d’agriculture démantèle la souveraineté alimentaire d’une nation. En 2004, par exemple, il a mis fin à un contrat avec Monsanto pour la plantation de 500 000 acres de soja transgénique sur le sol vénézuélien, annonçant à la place que les terres seraient utilisées pour la culture du yuca, une plante indigène.
Le gouvernement vénézuélien a encouragé l’organisation locale par des mesures participatives telles que la loi organique des conseils communaux, plaçant un contrôle plus démocratique de la production entre les mains des communes rurales et urbaines et érodant ainsi le rôle central des entreprises agricoles nationales et multinationales.
En plus de soutenir la production de base dans les centres urbains, Chávez a cherché à organiser une renaissance rurale en encourageant la migration hors des villes vers les carrières agricoles. Il a souligné la nécessité d’atteindre la souveraineté alimentaire nationale en abandonnant les importations au profit de réseaux autosuffisants produisant des cultures indigènes de manière écologique (...)
L’une des mesures les plus progressistes visant à protéger l’agriculture à petite échelle dans le pays a été prise après la mort de Chávez, avec l’adoption par l’Assemblée nationale d’une nouvelle loi sur les semences en 2015. (...)
Alors que les mesures radicales de réforme agraire prises sous Chávez sont au point mort sous Maduro, l’adoption de la loi sur les semences à un moment de crise politique et économique croissante a représenté une victoire majeure pour les scientifiques, les mouvements de petits agriculteurs et les organisations locales qui poussaient l’État à adopter une telle législation depuis des années.
La loi sur les semences est le résultat d’années de consultation avec les mouvements sociaux et les organisations paysannes du pays. En plus d’interdire la transgénèse et la privatisation des variétés de semences, la loi promet un soutien gouvernemental pour la protection et l’expansion des systèmes de semences gérés par les agriculteurs. (...)
Mise en œuvre de la loi sur les semences depuis la base
Alors que la confrontation politique s’intensifiait au Venezuela, l’Assemblée nationale, contrôlée par l’opposition, a adopté une autre loi sur les semences qui demandait le retour des semences transgéniques importées et des brevets sur les semences. Dans le même temps, les manifestations de l’opposition contre l’État ont parfois vandalisé les centres de recherche et de distribution alimentaire gérés par le gouvernement, notamment l’Institut national de nutrition et les laboratoires de production d’intrants agricoles écologiques. Dans le même temps, les sanctions imposées par les États-Unis ont précipité l’effondrement des recettes publiques, ce qui signifie que l’État disposait de peu de ressources pour soutenir la mise en œuvre de la loi sur les semences.
Néanmoins, les organisations et communautés locales ont commencé à mettre en œuvre la loi sur les semences depuis la base. (...)
Des centres de production de semences ont été construits dans tout le pays après l’adoption de la loi sur les semences - mais, dans le même temps, la position précaire de la révolution bolivarienne a entraîné la réapparition de forces plus axées sur le marché au sein de l’État et le renforcement du pouvoir de groupes d’intérêt tels que l’agrobusiness. Par conséquent, les gains obtenus après 2015 se trouvent dans une position dangereuse. (...)
La loi sur les semences comme modèle mondial
Malgré les résistances auxquelles la loi sur les semences continue de faire face, elle reste un modèle de la manière dont les pays du monde entier peuvent protéger leur biodiversité, leur écologie, leur tissu social et économique et leurs systèmes de production alimentaire contre l’agrobusiness national et transnational. (...)
mais les débats en cours sur sa révision soulignent également la précarité de tels changements et la nécessité de continuer à défendre les acquis même après qu’ils aient apparemment été assurés.