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La location de vaches : un placement « rémunérateur » pour les investisseurs qui risque d’appauvrir les éleveurs
Article mis en ligne le 19 juillet 2019
dernière modification le 18 juillet 2019

La vache, « un bon placement complémentaire pour diversifier son patrimoine »

Locapis, Cow gestion, Élevage & Patrimoine... Les sociétés qui font l’intermédiaire entre financeur et éleveur ne sont pas nouvelles. Élevage & Patrimoine, la plus ancienne, existe depuis 1971 et opère dans toute la France. Caroline Milleret est l’une des quinze salariés que compte le siège de l’entreprise à Meyzieu dans la région Rhône-Alpes-Auvergne. La responsable des relations avec les investisseurs garantit « un taux d’intérêt de 3 à 4% ». Le placement est « à faible risque » puisque la « valeur de la vache est stable. La vache coûte actuellement 1485 euros et cela n’a pas changé depuis octobre 2016. » Sa fluctuation sur le marché n’atteint pas plus de 100 euros en moyenne, précise-t-elle.

Élevage & Patrimoine a ainsi attiré des milliers d’investisseurs devenus propriétaires de vaches laitières. La moyenne du placement par investisseur s’élève à 10 000 euros, rapporte Caroline Milleret. « C’est un bon placement complémentaire pour diversifier son patrimoine. » Fruit de l’argent investi, Élevage & Patrimoine dispose désormais de 30 000 bovins. Le fonds d’investissement délègue la gestion de cet immense troupeau à Gestel, l’entreprise avec laquelle elle partage ses locaux. Gestel assure la répartition, le suivi des animaux chez 900 éleveurs qui sont reliés à elle par un contrat de location.
« Au lieu d’acheter mon troupeau, j’ai fait un prêt pour construire un laboratoire de transformation à la ferme »

De 450 000 éleveurs laitiers en 1984, à moins de 70 000 aujourd’hui

Placer son argent pour qu’il soit utile à la société : Locapis, une autre entreprise de « location » de vaches, met en avant la dimension solidaire de son activité. « On se bat tous les jours, explique Luc Lelièvre, qui dirige l’entreprise spécialisée dans la location de bovins, installée à l’est du Morbihan. Ce n’est pas facile de sortir un éleveur de la difficulté. » Le loueur de vaches partage, dit-il, un constat avec ses concurrents : « Quand un éleveur vient nous voir pour une location de bovins, généralement il est en difficulté financière et c’est malheureux. » Locapis redresserait parfois des fermes « au bord du dépôt de bilan », acculées par les dettes.

Le milieu de l’élevage laitier n’en est pas à sa première secousse. (...)

« L’investisseur prélève une rente sur les vaches. In fine, les éleveurs s’appauvrissent »

La location de bovins concerne aujourd’hui seulement 3% des éleveurs laitiers. Elle se fait rarement sur l’intégralité du cheptel, mais plutôt sur une partie. Le système pourrait-il être une solution aux problèmes financiers auxquels de très nombreux producteurs sont confrontés ? Daniel Condat, éleveur, répond par la négative. Pour le président du syndicat de la Coordination rurale du Puy-de-Dôme, « la recherche de trésorerie, quand vous êtes éleveur laitier, c’est une guerre de tous les jours ». Il faut donc « éviter le recours à des apporteurs de capitaux, qui vont vous demander une contrepartie. L’investisseur prélève une rente sur les vaches. In fine, les éleveurs s’appauvrissent. » Daniel Condat a une conviction : « Les vaches doivent appartenir aux paysans », sinon ils risquent de se retrouver « paysans sans vaches ». (...)

Perte d’autonomie de décision, et risque de déclin génétique

Certains éleveurs regrettent d’avoir signé un tel contrat. Après sept ans de location avec Gestel, Arnaud, Sylvie, Marc et Odile s’apprêtent à rompre le « bail ». Installés en Gaec de production laitière dans le Calvados, les deux couples ont gagné en scepticisme à mesure que les années ont passé [1]. « Ce système de location nous coûte trop cher. Il est spécifié dans notre contrat de dix ans que le loyer correspond à une vache et demi par an, à partir de la troisième année. Mais c’est sans compter les frais de gestion et d’assurance qui équivalent à une vache par an. Si on calcule bien, on aura loué 15 vaches, et on se retrouve à en payer 20,5... »

Un autre aspect dérange les quatre éleveurs. Leur loyer se paie en nature, c’est à dire en vaches, celles nées du cheptel loué. Or, celles-ci doivent correspondre à certaines normes d’élevage. « L’entreprise n’accepte pas nos vaches parce qu’elles ne sont pas écornées », raconte Marc. Pour être placées ensuite dans un élevage intensif, où le bétail a moins d’espace, les vaches doivent être écornées pour éviter de blesser leurs congénères. En imposant certaines pratiques d’élevage, les sociétés de gestion deviennent une « vraie épine dans notre autonomie de décision. » Le paysan pointe également le déclin génétique qui peut résulter du modèle de location. « Gestel propose essentiellement de la Salers, de la Normande et de la Primholstein... » Faire vivre la diversité des races est pour lui, au contraire, une « composante du métier d’éleveur ».