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La face cachée de l’industrie laitière : un coût de 7,1 milliards d’euros pour la société
Article mis en ligne le 23 octobre 2014
dernière modification le 16 octobre 2014

Le lait, c’est le champion des produits agro-alimentaires français. En bouteilles, en crèmes ou en fromages, il auréole les terroirs. En plus il rapporte et s’exporte. En consommer est vivement conseillé en matière de santé. Cette blanche réalité comporte pourtant des coûts cachés, ignorés des marchés, liés à un modèle de plus en plus intensif. Pollutions de l’eau, réchauffement climatique, précarité de l’emploi… L’économie du lait coûte cher à la société et à l’environnement.

Une étude inédite tente d’en calculer les impacts et de lancer le débat. Car, en bio ou en AOC, produire du lait bien moins cher est tout à fait possible. Enquête et animation vidéo à l’appui. (...)

En plus de la richesse qu’il créée, les produits laitiers sont parés de toutes les vertus. Leurs bienfaits nutritionnels ne cessent d’être vantés par le marketing... et les politiques publiques (...)

Et pourtant. Si la filière laitière française crée de la valeur, elle comporte aussi des coûts. De l’étable au supermarché, en passant par les entreprises de transformation, les conséquences négatives de l’économie laitière sont estimés à 7,1 milliards d’euros par an. Pour 1 euro de chiffre d’affaires, ce sont donc 28 centimes « d’impact négatif sur la société et l’environnement » qui sont générés. C’est loin d’être négligeable. (...)

Pollutions de l’air et de l’eau, contribution au changement climatique, précarité de l’emploi, déchets générés... Tout est passé au crible de la calculette, du mode d’alimentation des bovins à l’exportation de lait en poudre en passant par les emballages des produits.

C’est l’élevage qui génère le plus d’impacts (...)

Les troupeaux laitiers sont présumés responsables de 10% de la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques. Leur dépollution par des stations d’épuration ou le nettoyage des plages envahies par les algues vertes représentent un surcoût, dont l’élevage laitier doit donc assumer sa part : 922 millions par an selon les calculs du Basic. Le mode d’alimentation de nos bovins joue également un rôle significatif. La part du maïs dans la ration d’une génisse progresse au détriment de l’herbe. Le maïs, c’est gourmand en eau, en engrais chimiques et en pesticides (...)

« Nous ne mettons pas en cause les agriculteurs, souligne Christophe Alliot, co-fondateur du Basic. Mais c’est un indicateur de non soutenabilité du modèle actuel. » Un modèle productiviste qui s’intensifie depuis vingt ans avec la baisse du nombre de fermes et l’augmentation de leurs rendements. Et qui dit intensification de l’élevage et de la production, dit intensification des pollutions. Si les fermes usines du type mille vaches se multiplient, la production de lait risque, au final, de coûter très cher ! Des alternatives existent pourtant. Laisser les vaches paître tranquillement dans une prairie est plus soutenable pour l’environnement, même si cela ne résout pas les émissions de méthane et d’ammoniac, ou la pollution de l’eau du fait des excédents de nitrates.
Lait bio et fromages AOC : des alternatives bien moins coûteuses

Deux autres modes de production laitière, l’agriculture biologique et la production labellisée AOC (Appellation d’origine contrôlée), sont comparés au modèle laitier conventionnel. Et la différence est patente ! Les coûts cachés du lait bio descendent à 18 centimes pour 1 euro de chiffre d’affaires, et tombent à 10 centimes pour une fabrication de fromage au lait cru AOC et biologique. Trois fois moins préjudiciables qu’un fromage industriel vendu en grande surface ! (...)

Tous les coûts cachés ne peuvent être estimés en euros, en particulier la détresse de nombreux éleveurs laitiers. C’est le paradoxe d’une filière qui, économiquement, semble se porter à merveille. La richesse créée est bien mal distribuée. (...)

A l’autre bout de la chaîne, derrière les visages souriants des éleveurs apposés sur les bouteilles de lait en supermarchés, se dissimulent des rémunérations parmi les plus basses du secteur agricole : 26 000 euros par an avant impôt. Faiblesse des prix du lait sur le marché, endettement des exploitations, coût des intrants.... Selon l’Insee, l’élevage laitier a perdu 350 000 emplois durant la dernière décennie [2] ! La précarité de l’emploi est aussi importante dans les usines qui collectent le lait, l’embouteillent ou le transforment en fromage, beurre ou crème fraîche. (...)

Pollution de l’eau, gaz à effet de serre, déchets... La transformation du lait en produits pour le consommateur comporte aussi ses effets néfastes. Une usine moderne de transformation du lait rejette au moins un litre d’eau pour produire... un litre de lait ! Aux coûts de retraitement des eaux usées s’ajoutent les émissions de CO2 générées par le transport routier. (...)

Les habitudes de consommation laissent aussi derrière elles une lourde empreinte. La moitié des emballages de lait et de yaourts produits chaque année, soit 97 000 tonnes, ne sont pas recyclés. Acheminés en déchetterie ou brûlés dans les incinérateurs, ces emballages coûtent à l’environnement 77,2 millions d’euros. (...)

« Ces données montrent un besoin de se réapproprier les biens de consommation courants et la possibilité de peser dans une filière économique en tant que consom’acteur », commente Tanguy Martin de l’association Ingénieurs sans frontières. Car la filière laitière est à la croisée des chemins. La fin des quotas laitiers au 1er avril 2015 est redoutée par bon nombre d’éleveurs. La dérégulation du prix du lait pourrait encore favoriser les logiques productivistes, avec des élevages encore plus concentrés. « La répartition de la production sur le territoire est indispensable, tout comme les freins à l’agrandissement à outrance. Sans cela, nous ne verrons plus que quelques fermes-usines réparties sur un morceau de territoire », alerte la Confédération paysanne ; à l’exemple du « projet des 1000 vaches » en Picardie. Une méga ferme controversée qui « ne correspond pas au modèle d’exploitation promu par le ministre dans la loi d’avenir pour l’agriculture », souligne le cabinet de Stéphane Le Foll. Qu’en sera-t-il demain alors que la Chine s’intéresse aussi au lait français ? (...)

Les collecteurs laitiers annoncent d’ores et déjà des baisses du prix du lait de plusieurs dizaines d’euros d’ici janvier 2015. Ce qui pourrait conduire à terme à la disparition des exploitations laitières de taille moyenne. Le choix politique de soutenir ou non des modes de production plus soutenables ne se posera alors plus. Sur le terrain, des organisations de la société civile ont décidé de provoquer le débat. Des ateliers d’éducation au développement sont proposés par Ingénieurs sans frontières pour s’approprier les données du rapport et s’interroger sur la souveraineté alimentaire au Nord. Des paysans d’Afrique de l’Ouest, touchés par les exportations de poudre de lait en provenance d’Europe du Nord [3], travaillent également à la reconquête de leurs marchés et d’un revenu digne. Espérons qu’en France le débat s’ouvrira.