Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
« La détruire, ça n’a pas de sens » : près de Paris, ils luttent pour sauver une bergerie
Article mis en ligne le 29 août 2022

La bergerie des Malassis, l’un des derniers îlots de fraîcheur d’Île-de-France, est menacée par les travaux d’agrandissement d’une école maternelle. Malgré l’avancée des travaux, les opposants espèrent sauver ce lieu unique de la bétonisation.

En tendant l’oreille, on perçoit le chant d’un coq, vite recouvert par le vrombissement d’une pelleteuse. À Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, le béton s’apprête à recouvrir l’un des derniers vestiges du patrimoine agricole d’Île-de-France : la bergerie des Malassis. Nichée entre des barres d’immeubles, à seulement 1 kilomètre du périphérique parisien, cette ferme pédagogique autoconstruite de 2 500 m2 est menacée par les travaux d’agrandissement d’une école maternelle voisine. Un projet « aberrant », selon les militants écologistes locaux, déterminés à préserver l’un des derniers espaces naturels de ce département parmi les plus pauvres de France.

Les opposants au projet le précisent d’emblée : aucun d’entre eux ne remet en question la nécessité de moderniser l’école Pêche d’Or, qui jouxte la bergerie. L’établissement scolaire est trop petit et vétuste pour répondre aux besoins du quartier, dont la population a fortement augmenté ces dernières décennies. Seuls les plans et le lieu choisis posent selon eux problème. La mairie prévoit de construire un bâtiment de deux étages, tout de verre et de béton, en lieu et place de la ferme et de son jardin. À l’issue des travaux, elle envisage de relocaliser le troupeau sur le site de l’actuelle école. Ce lieu goudronné devra être déminéralisé avant de pouvoir accueillir la bergerie. (...)

« C’est complètement stupide, estime Olivier Chaibi, cotrésorier de l’association Sauvons l’îlot Pêche d’or — Bergerie Bagnolet. Il suffirait de construire la nouvelle école sur le terrain déjà artificialisé, et de laisser le parc et la bergerie là où ils sont. » « On ne peut pas déplacer un écosystème comme on veut » (...)

« Un petit bout de bonheur qu’on enlève aux gens »

Comme tous les matins depuis le début des travaux, le 11 juillet dernier, une poignée de parents d’élèves et d’habitants du quartier se sont rassemblés devant le chantier, autour d’une table en formica. Par leur présence, ils espèrent ralentir, voire empêcher, la destruction des lieux. (...)

« C’est un endroit convivial. Tout le monde vient, du balayeur à l’ingénieur. Des enfants deviennent copains. Le détruire, ça n’a pas de sens. » (...)

« Les enfants étaient dans un autre univers, raconte Sabrina. Ça apaisait les plus énervés. » Les prochains élèves n’auront pas droit à ce décor bucolique : jusqu’en 2024, leurs classes auront lieu à côté des travaux, bruyants et poussiéreux. « Une rentrée dans ces conditions, ça fait peur, s’insurge Olivier Chaibi. Je ne peux pas m’empêcher d’y voir un mépris pour les enfants défavorisés. » (...)

Sept semaines à peine après le début des travaux, la bergerie n’a « plus rien à voir » avec ce qu’elle était, déplore Gilles Amar, le gardien du troupeau. Les brebis ont été vendues, certains équipements démontés. Seule une trentaine de chèvres au pelage caramel sont restées sur place, avant leur départ prochain pour la Normandie. (...)

. « La vie est rude ici, explique le berger. Cet endroit, c’est un petit bout de bonheur et de fraîcheur qu’on enlève aux gens. » Le chantier de démolition est selon lui d’autant plus « scandaleux » qu’il est soutenu par une majorité municipale composée d’élus de gauche et écologistes (Parti socialiste, Écolos solidaires et Bagnolet en commun). « Il n’y a plus de sens », se désole-t-il. (...)

Les grands mirabelliers et cerisiers qui ceinturent l’enclos ont tous été couverts de rubalise. Une dizaine d’entre eux devraient être coupés. La mairie a prévu de replanter des arbrisseaux et de végétaliser la toiture de la future école en compensation. Les jeunes pousses ne pourront cependant « jamais remplacer » les arbres existants, selon l’activiste Maxime Senza. « Leurs racines seront trop faibles pour faire face aux futures sécheresses, les réseaux mycorhiziens [1] existants seront perdus », s’inquiète-t-il. (...)

Le jeune homme craint également que l’arrachage des arbres n’entraîne la disparition d’un des derniers îlots de fraîcheur de la Seine-Saint-Denis, dont 90 % des sols sont artificialisés. Le 18 juillet dernier, en pleine canicule, l’association Sauvons l’îlot Pêche d’or — Bergerie Bagnolet a réalisé des relevés de températures au thermomètre laser autour de la bergerie. Au niveau du bitume, la température s’élevait à 58 °C. À 1 mètre de là, en pleine terre, elle oscillait autour de 30 °C. (...)

L’association Sors de terre, qui gère la bergerie, a soumis à la mairie un projet alternatif de « ferme-école écologique ». Il permettrait selon eux de préserver la ferme, tout en augmentant les capacités d’accueil de la maternelle. Il impliquerait cependant de répartir les élèves dans d’autres écoles durant les travaux. (...)

La mairie n’a pas donné suite à leurs sollicitations. « Nous sommes engagés dans un marché public avec des architectes et des entreprises qui devraient être indemnisés si notre projet ne se réalisait pas », justifie auprès de Reporterre Tony Di Martino, le maire (PS) de Bagnolet. (...)

Malgré la détermination de la mairie, les opposants espèrent parvenir à sauver ce qui reste de la bergerie du passage des pelleteuses. En dernier recours, ils ont écrit aux membres du gouvernement. Ils espèrent bénéficier d’une partie de l’enveloppe de 500 millions d’euros promise par la ministre Élisabeth Borne à destination des projets de renaturation des villes, et financer ainsi leur école alternative. Avec le soutien de France Nature Environnement, du Groupe national de surveillance des arbres et d’autres associations, ils ont également entamé une procédure judiciaire afin d’interrompre les travaux, qu’ils estiment « attentatoires » à la faune et la flore. « On a la chance d’avoir ce lieu, d’entendre le coq chanter le matin, dit Éric, un voisin de la bergerie. Il faut le préserver. »