Le gouvernement tunisien a signé un accord intergouvernemental de conversion d’une partie de la dette avec l’Allemagne le 27 juin 2012 d’un montant total de 60 millions d’euros. Depuis mars 2013, cette « aide » pour la Tunisie semble revenir sur le devant de la scène, avec le ministre français chargé du développement, Pascal Canfin |1|, qui a parlé de « recyclage » de la dette tunisienne envers la France ou encore la députée européenne Marie-Christine Vergiat qui a, elle aussi, évoqué une possible conversion de la dette de l’UE en marge du Forum social Mondial à Tunis |2|. Perçue comme une solution face aux problèmes de l’endettement du pays, la conversion de dette n’est pourtant pas nécessairement à l’avantage de la Tunisie.
La conversion de dette : un mécanisme parmi d’autres d’allègement de dette
Il existe différents mécanismes que nous présenterons brièvement afin d’avoir une idée générale de ces derniers.
Le rééchelonnement :
Réviser et réétaler sur une nouvelle période de temps l’échéancier du paiement du principal et des intérêts d’un ou plusieurs prêts puis consolider cela dans un nouvel accord.
Le refinancement :
Recourir à un autre crédit/ prêt qui viendra se substituer au crédit/ prêt initial. Refinancer la dette, c’est donc convertir les arriérés (principal et intérêts) et la dette en cours (en totalité ou en partie) en un prêt nouveau. En règle générale, le prêt de refinancement couvre les arriérés.
La conversion de dette :
Echange de dette contre un actif ou une autre créance dans des conditions de remboursement différentes ou des liquidités. Les termes de l’échange doivent être de telle sorte à ce que le débiteur réalise le paiement de la dette à une valeur inférieure à 100% de la valeur nominale de la dette d’origine (exemples : transformer une créance en titre de propriété (prise de participation en capital) habituellement porteur de dividende ; convertir une dette en une autre forme de dette, en emprunt obligataire à long terme ou sous formes de dons). La conversion de dette doit se traduire en général par un allégement de dette selon le taux de conversion qui est négocié avec le créancier, c’est-à-dire la part (capital et/ ou intérêt ou arriérés) que l’on ne va pas rembourser et qui va être converti (en monnaie locale ou autre type de créance). (...)
En juillet 2012, un projet de loi soutenu par plusieurs partis politiques a été déposé à l’Assemblée Nationale pour la mise en place d’une commission mixte pour un audit de la dette publique tunisienne. Cette commission sera chargée également d’examiner les propositions de conversion de dette. Ce projet de loi est actuellement en attente d’examen à la Commission des Finances de l’ANC.
Dans ce contexte où il n’y a pas encore eu d’audit de la dette publique, aussi avantageux que cela puisse paraître, la conversion de dette semble prématurée. Et ce, pour deux raisons principales
- Risque de légitimer des dettes odieuses ou douteuses (...)
- Une négociation en position de faiblesse voire de « mendicité » (...)
Conclusion :
A travers la conversion de dette, le créancier cherche essentiellement la visibilité d’une action de développement afin de mieux négocier par la suite des accords avec le pays concerné. Nous pouvons aller même plus loin dans le cas de la Tunisie : la conversion de dette apparait être une opération technique propre à chaque créancier qui, en contrepartie de cette « aide », négocie des faveurs économiques et /ou politiques. Ainsi ce n’est pas anodin si l’Allemagne qui lorgne sur le secteur solaire tunisien pour ses besoins en électricité ait été le premier pays à proposer et signer une conversion de dette : le partenariat énergétique qu’elle est en train de négocier avec la Tunisie, et sur lequel des critiques émergent, va lui rapporter des milliards Doit-on voir un lien entre la conversion de dette et le partenariat énergétique ?
C’est d’ailleurs dans ce contexte que la France emboite le pas à l’Allemagne pour négocier une conversion de dette (...)
Il est donc urgent aujourd’hui de revoir l’idée très répandue selon laquelle la conversion de dette est un mécanisme forcément « gagnant-gagnant » et d’appeler à un audit de la dette publique, étape préliminaire à toute future négociation.