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La chute.
Article mis en ligne le 11 janvier 2021
dernière modification le 10 janvier 2021

Même si l’exemple de Trump est sans doute le pire possible quand il s’agit de s’interroger sur la toute-puissance des réseaux sociaux face à la liberté d’expression, son éviction de pratiquement toutes les plateformes nous donne l’occasion d’élargir le débat bien au delà de sa très triste personne, et j’essaie dans ce qui suit d’en profiter pour proposer quelques pistes de réflexion.

Le "TrumpBan" - la fermeture des comptes de Donald Trump sur la plupart des réseaux sociaux connus du grand public - a fait beaucoup parler en bien comme en mal ces derniers jours. On a même pu voir les mêmes qui réclamaient encore il y a peu la censure sans juge de la haine en ligne par les plateformes telles que Twitter (la très peu fameuse "Loi Avia") s’inquiéter que Twitter puisse décider sans juge de censurer l’un des plus grands semeurs de haine de ces décennies. Sans doute ne s’attendaient-ils pas à ce que leur souhait s’applique aux puissants.

Passons.

Le débat sur la protection de la liberté d’expression n’est pas neuf, évidemment. L’arrivée d’Internet a rendu possible l’accès à ce droit fondamental à tout un chacun, et nos lois - pensées en un temps où seuls quelques-uns (journalistes, politiques, hommes et femmes "publics") avaient accès à ce qu’on nommait encore des "mass medias" - n’ont jamais été prévues pour garantir ce droit, ni pour limiter ses dérives dès lors qu’il est ouvert à tous. Quelques ajouts modernes ont tenté d’y remédier (LCEN en France, par exemple) mais force est de constater que les dérives sont toujours très présentes, et sans doute trop rarement punies.

Soyons clairs : le cas de Trump ne peut pas - en aucun cas - servir de base de reflexion à ce débat. Sa situation de président et la gravité de sa dérive fasciste, sont bien trop extrêmes pour servir de modèle, l’exception ne pouvant ici comme ailleurs confirmer une règle qui d’ailleurs reste à définir.

Mais le débat lui-même reste important, et utiliser cette occasion pour le faire sortir du cercle trop restreint de ceux qu’on appelle les "défenseurs des libertés" - qui le porte depuis plus de 20 ans - est justifié. Et même si le présent texte n’a en aucune façon la prétention d’y apporter une solution, j’espère pouvoir éviter quelques pièges et fournir quelques pistes à ceux qui voudront bien s’en emparer.

Noir ou blanc

D’emblée on a pu voir deux réactions, a priori opposées, au bannissement de Trump : certains s’en félicitent - souvent en se reposant sur les CGU des services - et disent qu’une entreprise privée a tout à fait le droit de refuser tel ou tel utilisateur, tandis que d’autres s’inquiètent de voir des entreprises privées décider seules de qui a droit ou non à la parole.

Je vais donner mon opinion avant de poursuivre : les appels publics à la haine et à la violence doivent être non seulement bannis - quelle que soit l’idée qu’on se fait d’un système civilisé de modération (donc de censure) de l’espace public d’expression - mais leurs auteurs devraient aussi être poursuivis, et punis, à la hauteur de leur notoriété. Une société civilisée doit non seulement condamner le fascisme, mais aussi - peut-être surtout - mettre au ban (et donc "bannir") ceux qui s’expriment dans ce sens, et affirmer que leurs opinions sont nocives au bien commun. Trump et ses semblables ne doivent pas avoir le droit à la parole publique parce que leur parole tue. Point. Fallait-il bannir Trump et ses sbires ? Oui (et depuis très longtemps, mais n’oublions pas qu’ils attirent un public très large et que les GAFAM avaient tout intérêt à conserver l’attention de ce public pour vendre de la publicité ciblée).

Mais peut-on dire que Twitter, Facebook et les autres plateformes peuvent en décider /parce que/ ce sont des sociétés privées et qu’elles sont « maîtres chez elles », non.

Toute la problématique de la "modération" des contenus en ligne repose sur le fait que l’intermédiaire entre moi et le public ne peut pas (comme c’était le cas avant Internet parce que l’intermédiaire décidait lui-même - pour simplifier - qui avait le droit à la parole publique) être tenu pour responsable de ce que je dis, parce que j’ai le droit à la liberté d’expression et que c’est ma responsabilité que j’engage en usant de ce droit. Si un tiers en devient en partie responsable, alors je ne suis plus libre de m’exprimer, et il va devoir me censurer pour s’assurer de ne rien risquer.

La troisième voie (...)

Dans mon début de commencement de vision, on aurait donc :

 des intermédiaires dits "systémiques" (ie nécessaire pour atteindre une audience substantielle), qui n’ont pas à censurer, règlent la haine en ligne par les actes légaux suite aux saisines automatiques de ce qu’il coupent en fonction de leurs CGU, qui ont vocation à s’aligner au fil du temps sur les jurisprudences locales.

 des intermédiaires non-systémiques (Fediverse, hébergeurs, plateformes dont l’audience est restreinte...) qui n’ont à censurer, selon l’usage bien établi, que les "contenus à l’évidence illégaux" qui leur sont signalés selon une procédure imposée.

 des intermédiaires de débat en ligne (espaces de commentaires journaux, forums etc. ouverts au moins en lecture à tout public), dont la liberté de choix éditorial est admis (chacun pouvant choisir d’y débattre en connaissance de cause) qui identifient leurs utilisateurs.

 et des intermédiaires privés (fermés en lecture ouverts sur inscription après acceptation d’une charte éditoriale) qui ne relèvent pas du droit de la communication publique mais plutôt du droit de la correspondance privée.

Fonctionnement des saisines automatiques

Dans ma logique d’un fonctionnement respectueux des droits fondamentaux (dont le droit à un procès équitable fait partie) pour les plateformes systémiques, j’imagine donc un système de saisines automatiques - pourquoi pas d’un parquet spécialisé tel que celui défini par la désastreuse "loi Avia" et dont c’est à peu près tout ce qui reste. On aurait donc une procédure comme celle-ci : (...)

La moins pire des solutions.

Dans ce débat nécessaire, et de plus en plus urgent, j’aimerais comme tout le monde trouver de quoi parvenir au meilleur des mondes possibles dans lequel chacun aurait la possibilité de s’exprimer librement, sans intermédiaire, et sans que tel ou tel soit privilégié dans son accès à l’audience. Et c’est sans doute un choix que nous aurions pu faire il y a 20 ans si nous nous en étions donné les moyens tant en terme de formation du public que d’innovations techniques si les pouvoirs en place avaient pris en temps et en heure la mesure de cette révolution sociale qu’était l’accès à la parole publique pour tous.

Mais ce n’est pas arrivé et nous en sommes plutôt arrivés au pire des mondes numériques possibles, celui des GAFAM et de la surveillance généralisée de la population. C’est dans ce cadre donc que j’interviens ici, pour proposer un peu à contre-coeur ce qui me semble être une solution moins pire que d’autres (la meilleure solution étant à mon sens d’interdire toute publicité en ligne, ou a minima toute publicité ciblée, de manière à limiter l’intérêt du traçage permanent d’une part et celui de la maximisation de l’attention du public de l’autre. Autant dire que je rêve).

Je préfère cependant proposer cette piste, même - sans doute - encore utopique, plutôt que de choisir tel ou tel camp et me contenter de critiquer l’existant (ou de l’encenser). Au moins ai-je ainsi l’impression d’apporter quelque chose à un débat aussi vieux que le Web et pour lequel les solutions jusqu’ici proposées ne m’ont jamais semblé respectueuses des libertés.