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La bibliothèque, refuge des personnes en situation de précarité
Article mis en ligne le 1er juillet 2020
dernière modification le 30 juin 2020

Son bonnet noir enfoncé jusqu’aux sourcils, un homme s’approche de l’accueil où sont assises deux bibliothécaires. Il parle fort, au point qu’une partie de l’assemblée présente, sagement attelée à sa lecture, lève la tête afin d’observer la scène. Il explique qu’il est sans abri et n’arrive pas à utiliser son téléphone. Une bibliothécaire lui vient en aide et l’accompagne jusqu’à sa place, proche d’une prise électrique au fond de la salle.

Ce genre de requête est habituelle dans de nombreuses bibliothèques en France. Dans celle de Rennes Métropole, située dans le bâtiment culturel des Champs Libres, en plein cœur de la ville, deux espaces distincts donnant chacun sur un grand hall accueillent le public : la bibliothèque « classique », sur six niveaux, et l’espace de Vie du Citoyen. Dans cette salle avec mezzanine, des dizaines de titres de presse sont disponibles ainsi que des ordinateurs en libre accès.

Angélique y travaille depuis six ans. Assise sur l’un des nombreux fauteuils à l’étage, elle raconte d’une voix calme : « Ce lieu est très identifié par les personnes sans domicile fixe ou en parcours migratoire. Des structures qui les accompagnent leur indiquent qu’ici, il est possible de se connecter à internet ou de recharger son téléphone. Nous voulons également que les gens puissent se retrouver à la bibliothèque : cela passe par l’aménagement de l’espace et du mobilier. » Elle s’interrompt, jette un regard afin de s’assurer que personne ne la demande à son bureau et reprend : « Nous essayons d’envoyer un message qui est : “Vous êtes ici chez vous.” Au fil du temps, une communauté d’habitués s’est créée. »

Au-delà de ces rencontres physiques, les bibliothèques permettent également de garder un lien avec des proches vivant parfois sur un autre continent. Ainsi, nombre de personnes utilisent Facebook ou Skype. Pour d’autres, c’est l’occasion de rester actif dans la sphère professionnelle à travers la consultation de sa boîte mail. (...)

outre sa fonction de refuge dans lequel rester au chaud et rencontrer du monde, la bibliothèque des Champs Libres propose, comme ailleurs dans l’Hexagone, des ateliers gratuits afin d’apprendre le français ou tout un panel de langues étrangères. Des associations et leurs bénévoles y interviennent, ainsi que des bibliothécaires.

Éric Pichard, responsable du département des publics à la bibliothèque des Champs Libres, détaille l’évolution de ce lieu et des nombreux services proposés (...)

Ces dernières années, la dématérialisation du montage des dossiers administratif a touché les gens de plein fouet et il faut désormais surmonter la fracture numérique. À chaque nouvelle phase de dématérialisation d’un service, nous nous sommes retrouvés à devoir accompagner des usagers sur ces démarches. Il y a eu la CAF, Pôle Emploi, l’inscription à la cantine, dans les écoles primaires et même ce qui concerne la carte grise. »

« Ici, tout le monde prend son temps pour t’expliquer. À Pôle Emploi, il y a toujours quinze personnes avant toi dans la file d’attente. » (...)

Ces dernières années, la dématérialisation du montage des dossiers administratif a touché les gens de plein fouet et il faut désormais surmonter la fracture numérique. À chaque nouvelle phase de dématérialisation d’un service, nous nous sommes retrouvés à devoir accompagner des usagers sur ces démarches. Il y a eu la CAF, Pôle Emploi, l’inscription à la cantine, dans les écoles primaires et même ce qui concerne la carte grise. »

« Ici, tout le monde prend son temps pour t’expliquer. À Pôle Emploi, il y a toujours quinze personnes avant toi dans la file d’attente. » (...)

Ce besoin d’aide croissant de la part de certain·es usagèr·es a fait évoluer le métier de bibliothécaire. (...)

"Certains ne veulent pas venir travailler dans cet espace où des gens peuvent manger, boire et parler sans chuchoter. Tout le monde n’est pas préparé à cela. Car il s’agit d’affronter la misère, l’injustice. Ici, on voit la pauvreté des gens, avec certaines personnes qui transportent toute leur vie dans un sac à dos."

Cette fonction de conseil et d’aide pour des démarches administratives est très appréciée par certains usagers qui préfèrent venir à la bibliothèque que dans les services sociaux concernés. (...)

. Serge Paugam, sociologue, directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche au CNRS, a co-écrit l’ouvrage Des pauvres à la bibliothèque. Enquête au Centre Pompidou aux Presses Universitaires de France, en 2013. Il analyse : « Les bibliothèques ne sont pas des services sociaux et pourtant elles rendent des services que l’on pourrait qualifier de sociaux. La différence est que les personnes pauvres peuvent s’y sentir plus libres alors que tout leur rappelle leur condition d’assistés quand ils sollicitent l’aide d’un professionnel du social. Ils peuvent échapper dans certains cas, au moins temporairement, à la stigmatisation qu’implique presque inévitablement le contrôle exercé sur leur vie privée dans les institutions d’action sociale. »

D’autant que, pour les bibliothécaires rencontré·es, il n’est pas question de prendre la place des assistants sociaux. (...)

S’il n’est pas question de remplacer les services sociaux, un dialogue est à l’œuvre avec ces derniers. Cela a abouti, en 2017 à la bibliothèque des Champs Libres, à l’installation d’une Cabine info sociale. Celle-ci est reliée à une ligne téléphonique avec au bout du fil des professionnel·les pour répondre à toute question relative à des démarches. « Même si c’est un premier pas, c’est encore balbutiant, estime Éric Pichard. Dans les années à venir, nous voulons trouver une solution pour assurer la permanence des compétences propres aux services sociaux dans nos espaces. Le constat est simple : les gens viennent chez nous et ne vont plus dans les services sociaux. Alors, pourquoi ne pourrait-on pas accueillir ces services chez nous ? »