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La France accorde-t-elle vraiment moins d’aide aux agriculteurs bio qu’aux autres ?
Article mis en ligne le 14 septembre 2021

Candidat à la primaire écologiste, Yannick Jadot a critiqué le système d’allocation des aides agricoles en affirmant que la France était le seul pays européen à accorder plus de subventions à un agriculteur en conventionnel qu’en bio. Contestée par le gouvernement et la FNSEA, cette affirmation est toutefois, en partie, corroborée par des chiffres de la Commission européenne.

Le bio se fait de plus en plus de place dans nos assiettes mais aussi, à l’approche de la présidentielle, dans le discours politique. Candidat à la primaire écologiste, Yannick Jadot s’est récemment emparé du sujet pour critiquer les choix de l’exécutif en assurant que la filière bio en France était désavantagée par le système d’aides publiques.

"La France est le seul pays en Europe où un éleveur en conventionnel ou un agriculteur en conventionnel touche plus d’aides publiques qu’un agriculteur bio", a-t-il déclaré le 8 septembre sur LCI lors du débat de la primaire des écologistes, alors que sont conclues cet été les négociations européennes pour "verdir" la Politique agricole commune (PAC). (...)

Le raisonnement du ministère est donc simple : tous les agriculteurs ont droit aux aides du premier pilier, ceux travaillant en bio sont en plus éligibles au deuxième pilier, ils perçoivent donc mécaniquement plus d’aide que leurs homologues. CQFD. (...)

Principal syndicat d’exploitants, la FNSEA est sur la même ligne et évoque même une "fake news". (...)

Un graphique, qui a ressurgi sur Twitter dans la foulée des déclarations de M. Jadot, est censé établir cet état de fait. Fondée sur des données de 2013, ce document, reproduit dans une étude de l’Insee, montre effectivement que le montant moyen des subventions est supérieur chez les agriculteurs bio, en maraîchage, viticulture ou en élevage bovin. (...)

Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Tout d’abord parce que ce graphique n’est qu’un reflet imparfait de la réalité. Il concerne, d’une part, les seules exploitations dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 76.500 euros — excluant de fait de les petites exploitations qu’on retrouve en nombre dans le bio. D’autres part, il a été établi au moment où l’Etat participait au financement de l’aide qui était versée pour le maintien en bio, ce qu’il a cessé de faire en 2017. (...)

D’autres chiffres avancés par l’équipe de Jadot semblent par ailleurs corroborer — en partie — les déclarations de l’aspirant à la candidature écologiste.

Issus de rapports de la Commission européenne de 2013 et 2019, ils montrent ainsi, que parmi six Etats membres de l’UE passés à la loupe, la France est le seul pays avec la Pologne où le montant moyen de subventions par unité de travail agricole (qui équivaut au travail d’une personne à temps plein pendant une année) est beaucoup plus important en conventionnel (22.681 euros) qu’en bio (12.629 euros) sur la période 2007-2009 et pour les exploitations de grandes cultures (oléagineux, céréales...). (...)

"La part des subventions dans la valeur ajoutée nette agricole est plus élevée dans les exploitations bio dans l’ensemble des pays (étudiés) à l’exception de la France", indique par ailleurs ce document de la Commission.

Le rapport de 2019 enfonce le clou : la France est le seul des six pays étudiés où les subventions par unité de travail agricole sont, en moyenne, plus fortes en conventionnel qu’en bio sur la période 2012-2016, dans les exploitations de grandes cultures. (...)

On peut certes dire que M. Jadot force un peu le trait en affirmant que la France serait isolée au sein de l’ensemble de l’Union européenne puisque ces données ne portent que sur six pays. Mais sur le fond, le débat semble ouvert. (...)

Sur le papier, les aides bénéficieraient davantage au bio mais pas en pratique. C’est aussi la thèse de Benoît Biteau, eurodéputé écologiste proche de M. Jadot et lui-même exploitant agricole.

"Si un agriculteur aujourd’hui passe en bio, il aura peut-être des aides plus favorables au départ mais ça ne dit qu’une partie de l’histoire. Les agriculteurs qui se sont tournés il y a plus longtemps vers le bio ont des surfaces plus réduites et leur référence historique (qui sert au calcul des aides du premier pilier, ndlr) sont plus faibles. Ils touchent donc moins d’aide et aucun mécanisme n’est venu corriger ce delta", assure-t-il.

D’après ces experts comme selon la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnabe), des pays comme l’Allemagne ont déjà modifié l’allocation des aides de la PAC au niveau national pour reverdir leur agriculture et s’assurer que les exploitants en bio bénéficient d’incitations autres que celle de pouvoir vendre leurs produits plus cher aux consommateurs.

La future PAC, qui entrera en vigueur en janvier 2023, devrait acter ce changement de braquet en France : l’enveloppe consacrée au bio augmentera de 30% et 25% des aides du premier pilier seront désormais conditionnées au respect de pratiques agro-écologiques, assure-t-on au cabinet du ministre de l’Agriculture.

Face à la complexité du dossier, il est donc difficile de trancher définitivement si Yannick Jadot a dit vrai ou s’il a pris quelques libertés avec la vérité.

"Il y a des gros trous dans la raquette (sur les données disponibles, ndlr) et il y a clairement un besoin de faire des analyses objectivées sur ce sujet, conclut Laure Verdeau, la patronne de l’Agence du bio. Mais pour le moment, il n’y a pas de référentiel commun en Europe".