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Slate.fr
L’hôpital coule, et il entraîne ses internes avec lui
Article mis en ligne le 10 décembre 2018
dernière modification le 8 décembre 2018

Chevilles ouvrières de l’hôpital, la plupart des internes en médecine travaillent plus de soixante heures par semaine. Anxiété, dépression, idées suicidaires : plusieurs enquêtes récentes pointent leur mal-être.

« La formation des internes est rude et violente. Inutilement faite de mépris, abus de pouvoir, humiliation, violences verbales et parfois physiques. L’interne apprend surtout à encaisser les coups. Et non, si c’était à refaire, plutôt mourir avant, moi aussi. »(1)

L’interne est un médecin encore en apprentissage. En troisième cycle, il parfait sa formation en exerçant durant trois à cinq ans, selon la spécialité choisie, au sein de différents services hospitaliers, où il effectue des stages d’un semestre. Sous la responsabilité d’un médecin senior, il peut prodiguer des soins médicaux et même opérer. (...)

S’appuyant sur les résultats de leur enquête et après un début d’année particulièrement meurtrier dans les rangs des internes, l’Isni alerte en février 2018 la ministre de la Santé Agnès Buzyn dans une lettre ouverte portant leurs revendications : « Il est primordial de transformer la façon d’enseigner, et pour cela commencer à former nos enseignants à la pédagogie. Nous devons anticiper les risques avant que le mal-être ne survienne. […] Nous devons contrôler les abus sur le temps de travail, tant dans sa qualité que sa quantité. […] Il faut former chaque acteur de santé à percevoir les premiers symptômes qui mèneront, s’ils ne sont pas jugulés à la source, à un nouveau drame. Chaque interne ainsi dépisté devra être suivi et accompagné. » (...)

Fondamental de l’enseignement médical, le compagnonnage a du plomb dans l’aile. Dans son livre Omerta à l’hôpital, le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé, le Dr Valérie Auslender reconnaît que « la plupart des formateurs transmettent avec passion et pédagogie leurs connaissances. Mais il y a aussi ceux qui usent de leur pouvoir pour décharger leur colère sur des proies faciles. D’autres, submergés par leur travail, qui n’ont même plus le temps de s’occuper de leurs patients et à qui on impose d’avoir un rôle de formateurs, se retrouvent en position d’agresseurs sur des étudiants gênants ». (...)

L’administratif au détriment des patients (...)

Patricia Martel, victime d’épuisement professionnel voilà une dizaine d’années, alors qu’elle était interne en cancérologie, se souvient de l’un des éléments déclencheurs de ce qu’elle nomme une « crise de la vocation ». « On faisait des chimiothérapies à l’hôpital de jour, et on devait faire passer les patients toutes les demi-heures. Je voyais une trentaine de patients d’affilée. L’hôpital était soumis à des objectifs de rentabilité –la tarification à l’activité instaurée en 2004 qu’Emmanuel Macron s’est engagé à plafonner–, et on passait énormément de temps à coder des actes sur l’ordinateur. Je n’avais que deux minutes avec chaque patient, qui pourtant avait besoin de parler. Je me souviens que certains s’effondraient, en larmes. Je cliquais alors sur “consultation avec la psychologue”, et c’est tout. Je n’avais pas le temps de parler avec eux », raconte celle qui est aujourd’hui médecin généraliste. (...)

« Je me suis senti désemparé, impuissant, avec le sentiment de ne pas être à ma place. Et c’est un véritable traumatisme. »

Mathieu, interne dans un service d’urgences (...)

Au-delà des mesures, Jean Sibilia estime qu’une amélioration des conditions de travail des internes ne sera possible qu’avec une refonte de l’hôpital. « La souffrance des internes est un baromètre du système de santé qui souffre dans son ensemble. Si le système souffrait moins, on aurait déjà fait une bonne partie du travail. »

Pourtant, les années passent et l’hôpital s’enfonce dans la crise. Sur Twitter, sous le hashtag #balancetonhosto, les soignants, médecins, aides-soignants et infirmiers dénoncent un quotidien au travail parfois insupportable et insensé. (...)

Dans une tribune publiée sur France Info le 21 mars 2018, Le Dr François Braun, président du syndicat professionnel Samu-Urgences de France dénonçait « un hôpital malade ». Patricia Martel en est certaine : « Je me suis rendue compte que ce n’était pas moi mais l’environnement qui était malade et qui rendait l’individu malade. »