
L’enseignement agricole en France ne va pas si mal, mais il pourrait aller bien mieux, explique l’auteur de cette tribune. Qui imagine des écoles à la pointe des modèles alternatifs, voyant « dans l’écologie et l’agriculture une occasion unique de questionner le monde et de le redessiner ».
Lorsque j’y suis rentré en tant qu’étudiant, on m’a dit que j’allais traire les vaches. Étudiant, c’est pourtant une autre réalité que j’ai découverte, rencontrant des hommes passionnés par leur métier et qui ont su me transmettre leur passion et bien d’autres valeurs.
J’ai ainsi découvert l’enseignement agricole, celui-là même qui relève du ministère de l’Agriculture et qui forme chaque année près de 400.000 jeunes, de la 4e au doctorat, dans des établissements publics ou privés.
Et si depuis mes années étudiantes, j’ai roulé ma bosse, j’y suis revenu, cette fois pour y être enseignant, redécouvrant ce monde à part de l’éducation, m’interrogeant aussi sur son sens aujourd’hui. (...)
tout serait merveilleux. Des formations qui offrent un emploi aux jeunes ; des grandes écoles connues et renommées ; des réussites et des portraits vantés sur les sites internet du ministère et des établissements ; des parcours mêmes capables de remotiver des jeunes qui, arrivés en 4e, ressortent ingénieur et avec Bac +5… Et il est vrai que tout cela existe, et dans chacun des établissements, il y a des réussites, des déclics, des jeunes qui finissent par s’en sortir, des jeunes qui retrouvent le goût de l’école, ou qui trouvent un emploi, poussés par des enseignants investis et novateurs.
À quoi bon alors regarder le verre à moitié vide et pourquoi ne pas seulement se réjouir de cette jolie moitié bien pleine ? Parce que derrière cette si belle réalité, il y a des établissements qui survivent au lieu d’innover ; un nombre d’élèves qui se maintient par l’augmentation des formations proposées plus que par un plus grand attrait de ces dernières ; des dotations du ministère qui ne permettent plus de faire l’intégralité des programmes ; des enseignants précarisés (les salaires sont moins élevés que dans l’Éducation nationale) ; des formations qui, en s’adaptant aux demandes des professions, ne font qu’entériner certains modèles existants, l’agriculture intensive ou la sylviculture de masse, par exemple. Alors que ces établissements devraient être des références de l’agriculture et de l’écologie de demain, il y a aujourd’hui et souvent, des difficultés de recrutement, des enseignants qui démissionnent, des établissements qui ferment ou presque, d’autres qui changent de nom pour oublier leur titre de lycée agricole (...)
si le système sort des étudiants diplômés (en bradant même parfois ce cher diplôme pour mieux se vanter des 100 % de réussite), combien sont encore les écoles qui apprennent d’abord aux jeunes à réfléchir, à s’interroger et à voir dans l’écologie et l’agriculture une occasion unique de questionner le monde et de le redessiner au lieu d’entériner de vieux modèles ?
Oui, demandons-nous pourquoi la révolution dans les campagnes vient des néoruraux et non pas de ces jeunes qui sortent de cet enseignement agricole. Demandons-nous pourquoi tous les modèles alternatifs, qui existent et se développent, sont si peu présents dans les écoles : n’est-ce pas là que devraient être les fiefs des oasis, de la permaculture, de l’autoconstruction, des ateliers paysans ou encore des incroyables comestibles ? (...)
êvons de voir entrer Pascal Poot, Pierre Rabhi, Charles Hervé-Gruyer, Nicolas Joly ou bien d’autres encore dans nos écoles…
Rêvons d’y parler permaculture, forêt jardin, paysage comestible, microferme, mais aussi biodynamie, calendrier lunaire, circuit de distribution, qualité du produit, santé physique et mentale ou question d’échelle… Rêvons que les formations ne répondent plus aux besoins d’une profession, mais invitent les élèves à dessiner eux-mêmes leurs métiers de demain, des métiers écologiquement compatibles, humainement épanouissants, et économiquement soutenables. Rêvons d’accueillir des jeunes à qui l’on apprendrait l’éloge de la lenteur et du long terme, pour mieux qu’ils s’interrogent sur le sens, qu’ils s’ouvrent au monde, et qu’ils se questionnent sur le modèle de développement que l’on a imaginé pour eux.
L’enseignement agricole est aujourd’hui à l’image de la société. Tout ne va pas si mal, mais on n’y rêve plus…