
Dans un livre à paraître le 7 janvier, Camille Kouchner affirme que son frère jumeau a été victime d’inceste de la part de leur beau-père, le politiste Olivier Duhamel. Plus qu’un tabou, l’ouvrage met en lumière le « système » de ces violences sexuelles pas comme les autres, qu’associations et chercheurs spécialisés décortiquent depuis des années.
Dans un livre à paraître le 7 janvier, Camille Kouchner affirme que son frère jumeau a été victime d’inceste de la part de leur beau-père, le politiste Olivier Duhamel. Plus qu’un tabou, l’ouvrage met en lumière le « système » de ces violences sexuelles pas comme les autres, qu’associations et chercheurs spécialisés décortiquent depuis des années. (...)
Regarde-moi, maman. C’est pour toutes les victimes que j’écris, celles, si nombreuses, que l’on n’évoque jamais parce qu’on ne sait pas les regarder. » Ces mots, bouleversants, viennent conclure les pages nerveuses du récit de Camille Kouchner, La Familia grande (Seuil) à paraître le 7 janvier.
À 45 ans, l’universitaire, maîtresse de conférences en droit, y affirme que son frère jumeau, qu’elle nomme « Victor » pour protéger son identité, a été victime d’inceste pendant plusieurs années, vers ses 14 ans, de la part de son beau-père, Olivier Duhamel. Auprès du Monde, qui a eu, avec L’Obs, la primeur du livre, celui qui a toujours refusé de témoigner publiquement, a attesté « que ce que [sa] sœur a écrit à propos des agissements d’Olivier Duhamel à [son] égard est exact ».
Ce constitutionnaliste célèbre, ancien député européen socialiste, était président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), jusqu’à la révélation du livre lundi 4 janvier, ainsi que chroniqueur sur LCI et animateur d’une émission sur Europe 1. Il était également président du conseil d’administration du Siècle, un célèbre réseau d’influence. (...)
Mardi 5 janvier, le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire « des chefs de viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans et viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité ». Confiée à la Brigade de protection des mineurs, elle doit s’attacher à « faire la lumière sur ces faits, à identifier toute autre victime potentielle et à vérifier l’éventuelle prescription de l’action publique », a précisé le procureur Rémy Heitz dans un communiqué.
Le magistrat a également rappelé qu’une précédente procédure sur les mêmes faits, en 2011, avait été classée sans suite. Elle avait été déclenchée par la mort brutale de l’actrice Marie-France Pisier, soutien des enfants nés de l’union de sa sœur, l’universitaire Évelyne Pisier, et de l’ancien ministre Bernard Kouchner. (...)
Mardi 5 janvier, le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire « des chefs de viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans et viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité ». Confiée à la Brigade de protection des mineurs, elle doit s’attacher à « faire la lumière sur ces faits, à identifier toute autre victime potentielle et à vérifier l’éventuelle prescription de l’action publique », a précisé le procureur Rémy Heitz dans un communiqué.
Le magistrat a également rappelé qu’une précédente procédure sur les mêmes faits, en 2011, avait été classée sans suite. Elle avait été déclenchée par la mort brutale de l’actrice Marie-France Pisier, soutien des enfants nés de l’union de sa sœur, l’universitaire Évelyne Pisier, et de l’ancien ministre Bernard Kouchner. (...)
Ce n’est pas la première fois, loin de là, que le « tabou de l’inceste » semble se fissurer. Le mouvement a commencé, déjà, dans les années 1980, avec deux livres clés : De la honte à la colère, de Viviane Clarac et Nicole Bonnin, en 1985, et, l’année suivante, Le Viol du silence d’Éva Thomas. Les archives de l’INA en attestent : ce récit fait la une de l’actualité, les standards des associations qui luttent contre le viol sont débordés par les témoignages qui affluent.
Le débat a ensuite parfois été brouillé par les confusions avec de célèbres affaires de pédocriminalité, comme l’affaire Dutroux dans les années 1990, mais les révélations d’inceste n’ont jamais cessé, de L’Inceste (1999) puis Une semaine de vacances (2012) de Christine Angot à Le jour, la nuit, l’inceste (2019) de Mathilde Brasilier.
L’ampleur du phénomène, elle aussi, est largement documentée depuis de longues années. Comme pour les violences sexistes et sexuelles extrafamiliales, et sur les majeur·e·s, des données existent, des colloques officiels sont organisés, des rapports sont remis aux ministres. Les chiffres sont parfois à prendre avec des pincettes, mais les spécialistes du sujet sont unanimes : l’inceste est inscrit dans l’ordre social, et la prévalence de ces violences ne change guère depuis plusieurs décennies.
C’est par exemple ce que montre l’enquête de référence de l’Ined, Virage, selon laquelle 5 % des femmes adultes, soit une sur 20, a été victime de violences sexuelles au sein de la famille ou de la part de l’entourage proche. La proportion d’hommes est quant à elle de 0,83 %.
D’après l’anthropologue Dorothée Dussy, autrice d’un ouvrage célèbre sur le sujet (Le berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste – épuisé, il doit reparaître en avril chez Pocket), « en Occident, sur une classe de 30 élèves âgés de 10 ans, en moyenne, un ou deux enfants [dans la plupart cas, des filles] ont été “incestés” à la maison… et sur 60 millions, 3 millions vivent avec cette expérience ».
On sait aussi que la majorité des violences sexuelles a lieu au cours de l’enfance et de l’adolescence – les violences sexuelles sur mineur·e·s représentent, selon les années, de 57 à 67 % de l’ensemble des plaintes, rappelle l’universitaire Alice Debauche dans un article complet, souvent au sein de la famille.
Quant aux victimes, elles sont très majoritairement des femmes (environ 80 % d’après plusieurs sources) et les auteurs de violences, ultra majoritairement des hommes (à 95 % selon les dernières données disponibles de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). Et l’inceste touche tous les milieux sociaux.
En 2017, le rapport du CNRS sur les violences sexuelles à caractère incestueux sur mineurs souligne que, à rebours « des stéréotypes de classe et des stéréotypes ethniques », les violences incestueuses « ne sont pas le propre des familles des milieux défavorisés ». « Depuis la fin des années 1970, les travaux empiriques en sociologie, anthropologie et épidémiologie ont démontré que les violences sexuelles à caractère incestueux étaient transversales à toutes les classes sociales », insiste l’enquête du CNRS.
Alice Debauche est spécialiste des violences sexuelles, et de l’inceste à l’université de Strasbourg. « Je suis frappée de constater à quel point le récit [de Camille Kouchner – ndlr] est banal, explique-t-elle. En dehors du microcosme de gens connus, tout y est déjà dans les témoignages recueillis depuis les années 1980 : le silence imposé, les victimes qui parlent peu à peu, l’entourage qui ferme les yeux ou nie, les conflits de loyauté, les parcours de vie très impactés… » (...)