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L’accaparement des terres sévit au Mali, alors que se prépare le Sommet France-Afrique
Article mis en ligne le 5 décembre 2013

Alors que se tient les 6 et 7 décembre le "Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique", l’accaparement des terres sévit de plus en plus largement sur le continent noir. Et notamment au Mali, où la France est intervenue militairement cette année. Massa Koné, un responsable de l’Union, organisation luttant au Mali pour la défense des droits des nombreux paysans expulsés de leurs terres, témoigne.

Massa Koné - Au Mali, 80% de la population est paysanne et, même si le gouvernement refuse de la prendre en compte, l’agriculture paysanne représente 45% du PIB et nourrit à 65% le pays.

Aujourd’hui, la terre est à 85 % administrée par le droit coutumier, via les chefs de terre et de village. Plus une famille est grande, plus elle a de terres. La surface correspond aux besoins et à la capacité de la famille à l’exploiter. La terre n’est pas un moyen de spéculation : il est impossible de la vendre ou de la louer.

Dans un fonctionnement traditionnel, tout le monde y a normalement accès. Son usage est collectif, partagé entre l’agriculteur qui la cultive pendant les cinq à six mois de la saison des pluies, l’éleveur qui vient ensuite avec son troupeau manger les tiges et fumer le sol, et les femmes du village qui récoltent pendant la saison sèche les fruits des arbres, noix de karité ou autres. (...)

Mais en 1968, le régime a été renversé. Quand, dans les années 80, il y a eu de grandes sécheresses, le Mali s’est engouffré dans la politique néolibérale imposée par la Banque mondiale et le FMI à travers son programme d’ajustement structurel. Nous sommes alors devenus ultra-dépendants, les entreprises d’État ont été bradées et ça a été le début de la montée d’une « petite bourgeoisie » (1).

Après les grèves et la révolution de 1991, la 3ème République a mis en place la décentralisation, avec la création des communes et le développement des territoires. Des nouvelles lois sont apparues, favorisant l’entreprenariat. Les maires ont créé des agences immobilières avec l’instauration de titres fonciers. En s’octroyant ou vendant des titres, ils volaient la terre aux paysans, transformée en hypothèques auprès des banques afin que les nouveaux « petits bourgeois » puissent emprunter.

En 2002, un décret donnant la possibilité aux maires d’expulser des paysans a même été voté pour ratifier le phénomène. Et ceci, malgré une loi toujours en vigueur qui reconnaît le droit coutumier. C’est dans ce contexte de contradictions terribles et d’urbanisation galopante que les « déguerpissements » (expulsions) ont commencé, en particulier en périphérie des villes. (...)

Une zone immense de terres fertiles et irrigables existe dans le delta du Niger. Datant de la colonisation, le barrage de Markala permet d’irriguer deux millions d’hectares. A l’indépendance, ces terres ont été nationalisées et l’Office du Niger a été créé, véritable « grenier à riz » du pays. Or, dans les années 2000, sous l’incitation de la Banque Mondiale, le Mali a sauté sur cette l’occasion pour mettre les terres de l’Office du Niger sur le marché international.

En signant des baux emphytéotiques auprès du gouvernement malien, des gouvernements ou multinationales déguisés en opérateurs économiques investissent les terres maliennes pour mettre en place des cultures d’exportations : agrocarburant, blé, pomme de terre...

Du jour au lendemain, les terres sont bornées et on vient dire aux paysans qu’ils n’ont plus accès à leurs champs. Des engins débarquent et commencent à aménager la zone, détruisant les maisons et villages qui gênent... Et à part quelques rares cas, il n’y a ni relogement, ni dédommagement, ni rétribution de terres. (...)

Les paysans n’ont pas renoncé. Pour eux, la terre, c’est leur identité, leur vie et la survie de leurs enfants. Mais faire face aux investisseurs, c’est aussi faire face aux forces de l’ordre. On a vécu des moments extrêmes. Des hommes ont été battus à mort, des femmes ont avorté sous les coups des gendarmes, et des centaines de paysans ont été emprisonnés.

Ces événements n’étant pas médiatisés, nous avions l’impression d’être isolés dans notre détresse. Nos premières actions ont été de saboter les machines, ça nous donnait l’impression d’agir concrètement et nous aidait à décharger notre colère. Mais très vite, on a compris qu’il fallait s’organiser et monter manifester au cœur de la capitale, parce que les décisions sont prises à Bamako.

Les paysans des campagnes se sont constitués en groupements et ont convergé vers les associations de victimes d’expulsion des zones urbaines et péri-urbaines. Nous avons alors créé l’Union pour amplifier la lutte.

Nous avons organisé des forums pour connaître les problèmes de chacun, construit des revendications communes et organisé des grandes marches à Bamako pour montrer la force de notre résistance. Le gouvernement a vite compris qu’il fallait négocier avec nous. Sous la pression, il a mis en place une commission interministérielle spécifique au foncier, et l’Union a soumis un mémorandum dressant l’inventaire de tous les litiges rencontrés.

Plus tard, avec des associations de la société civile et des organisations paysannes, nous avons lancé la Convergence malienne contre les accaparements de terre, afin de peser plus fort encore. Fin 2011, avec les menaces qui s’accentuaient au Nord, ne pouvant pas se permettre de laisser éclater une révolution issue des paysans, le gouvernement a commencé à régler certains de nos problèmes, ce qui a fait fuir des multinationales chinoises et sud africaines. Certaines ont même porté plainte contre l’État.

Gonflés d’espoir par ces victoires, nous sommes les derniers à avoir manifesté à Bamako avant le coup d’état de mars 2013. Ces événements sont venus bouleverser notre combat, mais quel que soit le gouvernement en place, la stratégie est la même et on continue de leur mettre la pression en créant un vrai rapport de force. (...)

Actuellement, au sein de l’Union, nous avons plus de 150 dossiers en justice !
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