
L’évolution actuelle de la psychiatrie vers la santé mentale ne repose pas sur une exclusion stigmatisante mais au contraire sur une inclusion toujours plus étendue des populations dites « à risques » de par l’extension sociale de la norme et des dispositifs de contrôle. Il y a donc véritablement un gommage anthropologique de la folie et des souffrances psychiques et sociales, lesquelles se trouvent réduites à des troubles du comportement. Cette extension sociale de la norme et des dispositifs de gestion des populations à risques explique tout autant la transformation des savoirs sur la folie que les injonctions technoadministrative modifiant les pratiques des soignants.
La préférence pour les savoirs neurogénétiques, au-delà de ce que les recherches du même nom apportent, disculpe la société de la part qui est la sienne dans la fabrique de la folie et justifie le traitement des déviances sociales par des dispositifs sécuritaires de dépistage et de gestion des risques, supposés biologiquement déterminés. Du coup la psychiatrie, rebaptisée santé mentale, inclut toujours plus de personnes dans son dispositif, permet des intrusions de plus en plus précoces et de plus en plus féroces dans les espaces de l’intimité. Cette recomposition idéologique du champ de la « santé mentale » bouleverse les pratiques soignantes au profit d’une gestion toujours plus instrumentale au sein de laquelle le patient psychiatrique, notre frère en vulnérabilité psychique et sociale, se trouve pris dans les rêts d’une médicalisation qui le chosifie et l’expose à la marchandisation autant qu’à la violence déshumanisante.
En contrepartie de cette nouvelle forme de capture des souffrances psychiques et sociales dans des dispositifs frénétiquement sécuritaires et biologisants, les patients et leurs familles se voient concédés un statut social de victime (de leur nature ou de leur environnement), de porteurs de handicaps à dédommager ou de clients de soin à satisfaire.
Ce démantèlement de la psychiatrie n’a été possible, là comme dans les autres services publics, que par une alliance idéologique libéro-libertaire mettant en pièces le pouvoir psychiatrique en tant que représentant du pouvoir de l’État, dans ses fonctions psychiques autant que sociales, et la colonisation progressive de ce champ de ruines par les forces du marché.
Ainsi s’explique peut-être la violences de certains affrontements théoriques et institutionnels, par exemple à propos de la petite enfance ou des traitements psychiatriques, moins par la nécessaire confrontation scientifique de leurs résultats ou de leurs concepts que leurs utilités sociales et politiques.
Aujourd’hui, il s’agit moins d’exclure le fou que d’inclure toujours plus au nom de la dangerosité qu’ils représentent les individus et les populations à la marge, façon comme une autre de masquer un retour des classes dangereuses que les crises financières et économiques autant que politiques et culturelles favorisent.
Les documentaires proposés retracent le moment fécond d’expériences innovantes montrant qu’il est possible de prendre soin de la folie et de la souffrance psychique, point de réel de toute « humanité dans l’homme ». A distance du pouvoir asilaire qui exclut, autant que de la contrainte normative des réseaux de santé mentale qui appauvrissent le vivant dans sa diversité et sa singularité -ce qu’illustrent certains documentaires- d’autres attestent de l’histoire sans cesse recommencée de ceux qui prennent soin de la folie en tant qu’elle reflète l’expérience tragique de la condition humaine et la manière dont une société la capture et la qualifie.
