
Pour la première fois, une large majorité a été trouvée à l’Assemblée pour limiter l’installation des médecins dans les zones où ils sont assez nombreux. Cette mesure pourrait au moins mettre fin au creusement des inégalités d’accès aux soins. Le Sénat doit à son tour se prononcer.
Depuis 2022, un groupe de député·es de tous bords politiques, à l’exception du Rassemblement national, défend une régulation de l’installation des médecins pour lutter contre les déserts médicaux. Ils avaient d’abord échoué à faire adopter des amendement dans ce sens, faute de temps. À chaque fois, ils doivent surmonter un avis défavorable du gouvernement.
Mercredi 7 mai dans la soirée, ils sont parvenus à faire adopter par l’Assemblée une proposition de loi « visant à lutter contre les déserts médicaux », cosignée par 256 député·es. Le texte comprend cinq articles. Le premier a fait l’objet des débats les plus longs, qui se sont tenus le 2 avril dernier.
Les député·es y proposent de réguler les installations dans les zones où le nombre de médecins est suffisant : une installation n’y sera possible qu’à la condition d’un départ. Ce sera aux agences régionales de santé de cartographier ces zones surdenses en médecins sur le territoire. Une proportion de 13 % du territoire compterait assez de médecins, estiment les député·es : sur les bords de l’océan Atlantique et de la mer Méditerranée, ainsi que dans les Alpes pour les médecins généralistes ; pour les spécialistes, dans les grandes métropoles.
« Le principe de liberté d’installation prévaut. Il est inchangé pour 87 % du territoire », a voulu rassurer le député socialiste de la Mayenne, Guillaume Garot, rapporteur de la proposition de loi et initiateur du groupe de travail transpartisan.
Il a rappelé l’urgence sanitaire autant que démocratique (...)
Sur les bancs de l’Assemblée, les opposant·es à toute régulation se trouvent tous à droite de l’hémicycle. (...)
La suite de la proposition de loi a été adoptée mercredi 7 mai dans la soirée. L’article 2 prévoit de ne plus pénaliser, par un moindre remboursement par l’assurance maladie comme c’est le cas aujourd’hui, les patients sans médecin traitant. Il n’a pas fait débat sur les bancs de l’Assemblée. (...)
L’article 3 vise à développer une formation, au moins à la première année en études de médecine, dans chaque département. Il n’a pas fait débat.
Autre sujet litigieux : le rétablissement de l’obligation des gardes, le soir et le week-end pour les médecins de ville. Les opposant·es à cette mesure estiment qu’elle découragerait les jeunes médecins à l’installation. Ses promoteurs expliquent qu’aujourd’hui un tiers des médecins assurent des gardes toutes les cinq à six semaines, et qu’ils sont trop peu nombreux et nombreuses. « Ils ont besoin de répartir cette charge », a expliqué Hadrien Clouet (LFI). Si tous les médecins y participaient, les tours de garde seraient espacés de quinze semaines environ.
L’article 5 demande un financement de ces mesures.
Changer la vie des gens
L’aboutissement de ce long travail parlementaire et transpartisan a été largement salué. (...)
Sur les bancs de LFI, Hadrien Clouet, député de la Haute-Garonne, estime que cet aboutissement est celui d’un « collectif comme on en aura rarement vu dans cet hémicycle, des républicains à LFI ». « Quand les parlementaires travaillent ensemble, on arrive à des résultats utiles, populaires », s’est-il félicité. (...)
La régulation de l’installation des médecins est un sujet corrosif, qui suscite toujours une levée de boucliers de tous les syndicats de médecins libéraux et mobilise les étudiant·es en médecine. Ils ont d’ailleurs manifesté le 29 avril dernier.
Pour ménager le lobby de la médecine libérale, le premier ministre, François Bayrou, a allumé un contre-feu : il veut imposer une « solidarité obligatoire » des médecins des zones surdenses, qui devront travailler deux jours par mois dans les zones sous-denses.
Le texte part au Sénat. S’il y est adopté sans aucun changement, ce qui est peu probable, la loi d’initiative parlementaire sera promulguée. Sinon, il devra faire la navette avant la fin du quinquennat.
Lire aussi :
– (les Echos)
Pourquoi la fin du numerus clausus ne permet pas d’en finir avec la pénurie de médecins
En 2020, pour répondre à ce problème, le numerus clausus qui limitait depuis les années 1970 le nombre annuel d’étudiants en médecine a été remplacé par le numerus apertus. « Le numerus clausus était fixé par le ministère de la Santé. Le numerus apertus est déterminé chaque année par l’ARS et le doyen de la faculté de médecine dans chaque région. Le chiffre fixé correspond aux besoins en professionnels de santé du territoire, estimés par l’ARS, et aux capacités d’accueil de l’université », explique Benoît Veber, président de la conférence des doyens de médecine et doyen de la fac de médecine de Rouen.
Depuis 2021, au lieu de la première année commune pour les études de santé du Paces (qui regroupe médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie), les étudiants peuvent choisir entre une formation Parcours d’accès spécifique santé (Pass) avec en mineure une autre discipline, ou une licence accès santé (Las) avec une mineure santé. Ce nouveau mode de fonctionnement s’est soldé par l’ouverture de 13.000 places supplémentaires en médecine entre 2021 et 2025. Pour Benoît Veber, les objectifs de la réforme sont atteints. Mais selon les associations étudiantes des formations de santé, l’application de réforme comporte son lot de problèmes, notamment un manque de lisibilité et une mauvaise prise en compte de la santé mentale des étudiants. Elles le dénoncent dans un rapport, sorti le 29 février. (...)
Futur incertain, inégalités persistantes, risques psycho-sociaux majorés… Quatre ans après sa mise en place, la réforme de la Pass/LAS ne semble pas avoir mis fin au "gâchis humain" de la Paces, d’après les résultats d’une enquête menée auprès de 13 000 étudiants, par la Fage et les fédérations santé*. Alors que certaines filières peinent à faire le plein, plus de 4 étudiants sur 10 confient avoir eu envie de tout arrêter en cours d’année. (...)
En février dernier, un rapport de la Fage et des fédérations représentant les étudiants de médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kiné (MMPOK) avait permis de dresser "un premier constat d’échec" de la réforme de la Paces, mise en place à la rentrée 2020. Un diagnostic désormais objectivé par les résultats d’une enquête qui a permis de recueillir le ressenti et les témoignages de plus de 13 000 étudiants ayant vécu au moins une année de Pass** ou de LAS***, les deux "voies d’entrée" des études de MMOPK.
Alors que la réforme avait notamment pour objectif de réduire les risques psycho-sociaux de la course aux études de médecine en remplaçant le numerus clausus par un numerus apertus et en ouvrant des perspectives en cas d’échec, 81% des étudiants qui se sont exprimés ont déclaré qu’ils étaient "plus stressés" depuis leur entrée en Pass/LAS (...)