
La première journée de la critique des médias, tenue le 31 janvier 2015, s’est achevée avec les interventions de Serge Halimi (« À quoi sert la critique des médias ? » et d’Henri Maler (« Nous avons des propositions ») dont voici la version sonore et la transcription, légèrement abrégées (Acrimed).
Je voudrais commencer par citer un grand penseur contemporain qui a tout dit sur la question des médias. Et plutôt que de le dire à sa place, je lui donne la parole.
Pourquoi les minorités - qui sont parfois des majorités, sociales, politiques, idéologiques - sont-elles si peu visibles dans les médias ? Tout simplement « parce qu’elles n’ont pas trouvé leur public », dit le grand penseur. Mais est-ce qu’elles ont les moyens de rencontrer leur public ? Évidemment, poursuit le grand penseur contemporain que je ne me lasse pas de citer : « Tout citoyen peut créer un journal : en conséquence les journaux sont nombreux et se font concurrence entre eux ». […] « Chacun, en France, peut créer son propre journal, sans capitaux importants, avec l’assurance d’être diffusé […]. Cette démarche est si aisée qu’il s’en crée plusieurs centaines par an. » Le grand penseur que je cite encore, pour tenter (mais difficilement je dois dire…) de m’approprier ses propos, poursuit. Certes il existe des « citoyens » d’un genre un peu particulier. Je cite : « Les citoyens fortunés sont des citoyens comme les autres. Mais ils ont plus de moyens… » Voilà !
Ce grand penseur qui réforme la gauche depuis qu’il est né, avec des poussées d’acné régulières tant son adolescence se prolonge, c’est Laurent Joffrin [qui écrit ça dans son impérissable ouvrage Médias paranoïa] [1]).
Tout va bien dans le monde des médias ! Le pluralisme, l’indépendance de l’information, la qualité de l’information : tout va bien !
Le penseur en question d’ailleurs nous a bien désignés. Quand je dis « nous », je ne parle pas simplement pour Acrimed ou pour le pôle de radicalité qui s’est rassemblé dans la critique des médias. Non ! Je parle de vous ! Vous êtes des paranoïaques ! Tout va bien ! Si vous élevez la voix, c’est que vous souffrez d’un syndrome de persécution.
Et comme je partage assez largement le diagnostic que Serge [Halimi] nous a proposé - avec quelques nuances qui nous permettront de poursuivre une conversation que nous avons déjà depuis plus de quinze ans -, j’ajouterai ceci : si cette critique radicale n’avait pas existé, la situation serait encore pire.
Pourtant le compte n’y est pas.
Certes, « Nous avons des armes » (pour reprendre le titre du collectif animé par Gilles Balbastre), mais nous avons aussi des propositions. Et ces propositions, il faut combattre, et sans doute combattre longtemps, pour qu’elles se réalisent. (...)
Si les médias peuvent et doivent être un quatrième pouvoir, le pouvoir des médias doit être constitutionnalisé. Par conséquent il faut – et ce sera difficile à obtenir – remplacer le CSA, organisme fantoche et organisme croupion, par un Conseil National des médias… de tous les médias, comme quatrième pouvoir constitutionnel.
Pourquoi ?
J’ai dit organisme fantoche. Parce que qu’on arrête de nous balader : le CSA est nommé par le pouvoir politique. Le fond de l’affaire, c’est que toute la structure de régulation de l’audiovisuel dépend directement du pouvoir politique. (...)
Pour un service public de l’information et de la culture
Deuxième proposition : l’information et la culture sont des biens communs. Qui peut penser, si peu que ce soit, qu’ils peuvent remplir cette fonction de biens communs (pluralistes, divers, variés, socialement, politiquement, culturellement) sans que se constitue un véritable service public de l’information et de la culture ? (...)
il faut le dire : il faudrait avoir l’audace de mettre un terme à la privatisation de TF1. Cela peut prendre plusieurs formes ; cela peut prendre aussi la forme d’une renationalisation. Mais si on ne présente pas cet objectif que nous soutenons depuis des années – il faut le dire dans certain désert : on passe pour des fous – alors on met un mouchoir sur l’audiovisuel public.
Et on ne peut pas se satisfaire de dire « Bon, bien, hein ! OK qu’il crève ! On va avoir les médias associatifs, indépendants, alternatifs ou du tiers secteur ! ». Parce que les médias alternatifs doivent absolument être soutenus, mais ils ne constituent pas une alternative aux médias dominants. Sauf à nourrir un mépris social absolument inconcevable, on ne peut pas faire l’impasse sur les millions d’auditeurs et de téléspectateurs qui regardent ou écoutent encore l’audiovisuel privé ou public (...)
il est besoin d’une refonte globale du système d’aides à la presse, ce qui suppose de mettre à plat l’ensemble du système existant.
On parle beaucoup de laïcité. Moi je suis partisan de l’application d’une forme particulière du principe de la laïcité au monde des médias. Le bon principe de la laïcité dont vous remarquerez qu’il est appliqué d’une façon évidente, c’est « à écoles publiques, argent public, à écoles privées, argent privé ». Ce n’est pas exactement ce que l’on a. C’est une bataille perdue faute d’avoir été correctement menée… en 82. Avant qu’il soit appliqué on a du temps devant nous, hein, pour que la laïcité triomphe dans ce pays. Mais là je vais bien au-delà de ce que me permet de dire ma fonction de porte-parole d’Acrimed qui n’a pas de position officielle sur la laïcité. Alors appliquons-le au monde des médias : « à médias publics et associatifs, fonds publics ; à médias privés, qu’ils se démerdent ». Et ils ont de quoi faire ! […]
Ces propositions pour quoi faire ? (...)
Oui, nous le pensons : si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi, mais, pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires.