
Vice-président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme des Nations unies, Jean Ziegler vient de publier Destruction massive. Géopolitique de la faim (éditions du Seuil). Dans cet essai, le sociologue suisse fait part de son expérience en tant que Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation (2000 à 2008) et analyse les raisons qui provoquent chaque année la mort de 36 millions de personnes à cause de la malnutrition.
(...) Pourquoi meurt-t-on encore de faim de nos jours ?
Il y a cinq grandes raisons : premièrement, la spéculation financière sur les matières premières alimentaires qui a fait flamber leurs prix ces dernières années et rendu quasiment impossible aux agences d’aide, comme le Programme alimentaire mondial (PAM) de subvenir aux besoins des populations victimes de sous-alimentation. Il y a ensuite les agrocarburants, qui soustraient des terres fertiles et des plantes nourricières à l’alimentation humaine. Troisièmement, il y a la dette extérieure, qui étrangle les pays les plus pauvres et les empêche d’investir dans l’agriculture de subsistance. Après, il y a le dumping agricole, qui fait que, sur les marchés de Dakar ou de Cotonou, les fruits, les légumes et les poulets français, grecs, portugais, allemands etc. sont vendus au tiers ou à la moitié du prix du produit africain équivalent. Enfin, il a l’accaparement des terres par les fonds d’investissement ou les grandes multinationales, qui en chassent les paysans locaux pour y cultiver des produits destinés exclusivement aux marchés occidentaux.
L’UE a-t-elle une responsabilité ?
Elle a une responsabilité totale dans le dumping agricole. A commencer par la France (...)
La Commission européenne actuelle est formée de purs mercenaires au service des pieuvres du commerce agro-alimentaire.
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Bruxelles est aussi d’une hypocrisie sans nom : alors que l’Europe parle de justice planétaire et de développement, les 87 pays ACP [Afrique-Caraïbe-Pacifique, essentiellement des anciennes colonies européennes] sont maintenus dans des conditions d’infériorité inacceptables.
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Quelles sont les solutions ?
Il faut faire deux choses : premièrement désosser les banques, en séparant la branche "investissements" de la branche "dépôts". Une banque ne devrait pas pouvoir faire les deux activités. Ensuite, il faut les nationaliser. Ce n’est pas une question idéologique – De Gaulle a bien nationalisé le crédit dans l’après-guerre. Aujourd’hui, l’incapacité des dirigeants occidentaux d’imposer des décisions et des règles aux oligarchies bancaires au nom du bien public est invraisemblable.
On est proche de l’insurrection des consciences : ce samedi [le 15 octobre], les indignés du monde entier vont manifester. Difficile toutefois de dire où cela peut nous mener. Les processus révolutionnaires dans l’histoire sont archi-mystérieux. On ne peut pas les anticiper