
Ils et elles se battent contre les clichés sur le handicap, pour la fermeture des institutions spécialisées et pour démontrer que, loin de la charité et du médical, le handicap est une question politique. Rencontre avec ces nouvelles militantes et militants, très actifs sur les réseaux sociaux.
« Tu te dis que ça doit être (trop) dur de vivre en tant que handicapé·e, genre tu pries pour ne (surtout) jamais l’être ? Tu admires le courage quasi héroïque des handicapé·e·s ? Tu te rassures avec le Téléthon. [...] Tu hésites à savoir si un·e handicapé·e est ultra-débile ou hypra-intelligent·e ? [...] Le validisme, ça te concerne. »
C’est avec cette cinglante série de questions que le terme de « validisme » est entré, en 2004, dans le vocabulaire des militants français des droits des personnes handicapées, sous la plume de l’activiste Zig Blanquer, dans un texte intitulé La culture du valide occidental. Aujourd’hui, la secrétaire d’État « chargée des personnes handicapées », Sophie Cluzel, rejette toujours le terme. Pas question de le laisser prospérer. Mais de plus en plus de militantes et de militants se démènent pour l’imposer.
Ils caractérisent le validisme ainsi : « La conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confère une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées », selon le manifeste du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation, le CLHEE. (...)
Cécile Morin en est la porte-parole. Cette doctorante, chercheuse en histoire, a rencontré « très tardivement » dans son parcours la notion de validisme, en lisant Zig Blanquer, justement : « Je l’ai vécu comme une espèce d’émancipation très forte et la sortie de la solitude de ma condition sociale » liée au handicap.
Malgré ses études en sciences sociales, Cécile Morin souligne n’avoir jamais auparavant pu trouver « dans les ouvrages la pensée critique, les outils d’analyse pour penser ce qu’il m’arrivait ». Ce qui lui arrivait ? Être « une anomalie de [ma] génération, en ayant fait des études longues alors que j’étais destinée à vivre en institution, comme tous ceux de mon âge ».
Également membre du CHLEE, Elena Chamorro précise d’emblée qu’elle était valide au moment où elle est arrivée en France à 22 ans, dans le cadre du programme Erasmus : « Si j’avais été handicapée enfant, j’aurais été certainement renvoyée vers l’enseignement spécialisé et n’aurais jamais pu faire d’études universitaires. » Aujourd’hui, cette enseignante en histoire à l’université dit « n’avoir de cesse d’explorer le concept [de validisme – ndlr] et de se réjouir de son potentiel subversif et émancipateur ».
Subversif, le validisme ? La notion permet, aux yeux de celles et ceux qui la portent, de renverser un ordre des choses qui serait « naturellement » établi : à la vision médicale d’un handicap qu’il faudrait « réparer » se substitue celle du handicap comme construction sociale. « La domination des personnes handicapées n’est pas une donnée biologique, elle est construite socialement », résume Charlotte Puiseux, psychologue et docteure en philosophie, militante au sein du collectif handiféministe Les Dévalideuses. (...)
« Ici, on parle par matières (la philo, la socio, l’anthropologie...) alors que dans les pays anglo-saxons, ce sont les sujets qui sont mis en avant (feminist studies, gender studies...), explique Charlotte Puiseux. Malgré tout, les disability studies commencent à être étudiées en France, en sociologie, en anthropologie. »
Pourquoi ne pas parler de handiphobie ? « Tout comme la négrophobie n’est qu’une des expressions que peut prendre le racisme, la handiphobie n’est que l’une des formes que peut prendre le validisme, répond Elena Chamorro. La handiphobie est l’expression du rejet, du mépris et de la répulsion pour les personnes handicapées ; ce serait plutôt une conséquence du validisme. Alors que celui-ci est une idéologie qui conduit à une hiérarchie des corps mais aussi un système d’oppression. »
Ce validisme se vit au quotidien, dans les relations avec les autres. (...)
Aucun·e des militant·e·s interrogé·e·s n’oublie les reports, depuis 2015, de l’obligation d’accessibilité universelle des établissements accueillant du public. Ou plus récemment la modification de la loi Elan, qui a fait passer de 100 % à… 10 % l’obligation de logements accessibles dans les constructions neuves. (...)
En France, depuis plusieurs années, le handicap est le premier facteur de discrimination recensé par la Défenseure des droits. (...)
« L’éloignement géographique, les problèmes de mobilité – liés pas tant à nos handicaps qu’au manque de transports accessibles, aux insuffisances en aide humaine – rendent difficile la rencontre, analyse Elena Chamorro. Les réseaux sociaux nous ont donc permis de nous trouver d’abord, de nous rencontrer ensuite, et aussi d’entrer en contact avec d’autres activistes handicapé·e·s. Les réseaux ont été une première tribune – que personne d’autre ne nous avait offerte – pour relayer nos discours, loin du compassionnel, du caritatif et qui parlent du respect de nos droits et de nos personnes. »
Le traitement médiatique du handicap n’échappe pas à l’entreprise de déconstruction de ces militantes et militants, qui n’ont pas hésité récemment à égratigner Mediapart (lire ici). « Dans les médias, les narrations sur les personnes handicapées sont assez figées et réduites, souligne Elena Chamorro. Les plus communes sont celles du handicap comme une tragédie et dépassement de soi, celle qui conduit à la vision du handicapé/héros. » Et la chercheuse de recenser les termes et expressions qui reviennent : « cloué sur un fauteuil », « oublier le handicap », « surmonter son handicap », « droit au bonheur », « épreuve », « courage », etc. (...)
Pour Cécile Morin, changer ces représentations revient à donner aux jeunes « des outils, des instruments de défense auxquels les personnes de ma génération n’ont pas eu accès. Les aider aussi à ne pas intérioriser les stéréotypes validistes. Ce qui n’est pas facile, car, paradoxalement, le courage, la leçon de vie, c’est valorisant. »
« On ne supporte plus que les questions soient abordées uniquement sous le prisme du témoignage personnel beaucoup plus que via nos revendications politiques, abonde Citron Mitermite. On a l’impression, à chaque article, que tout le monde tombe des nues face à des preuves de maltraitance envers les personnes handicapées, alors que dans nos cercles, on sait très bien que celle-ci est systémique. »
Cette parole, ils ont à cœur de la porter eux-mêmes, de ne plus la laisser aux grandes associations gestionnaires d’établissements pour personnes handicapées, comme l’APF-France handicap ou l’Unapei. « Cessons de parler “des associations”, c’est comme si on disait “les syndicats” à la fois pour le Medef et la CGT, tempête Cécile Morin. (...)
Interrogée sur le « validisme », terme qu’elle n’utilise pas, l’APF-France handicap reconnaît que cette notion « permet de pointer les inadaptations de la société, qui ne sont pas pensées pour et avec les personnes en situation de handicap, et les discriminations dont ces dernières sont victimes ». Mais l’association tempère aussitôt : « Il nous semble qu’il ne doit pas mettre en opposition “les personnes valides” et les “personnes en situation de handicap”. Nous privilégions une approche par les droits, la lutte contre les discriminations, l’accessibilité et la conception universelle. » (...)
Objectif Autonomie, un mouvement de personnes handicapées créé en décembre 2020 lors de la mobilisation contre la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation adulte handicapé (AAH) – une prise en compte qui fait perdre aux allocataires une partie de leurs droits quand ils ou elles se déclarent en couple (...) Une pétition avait alors réuni plus de 100 000 signatures. (...)
« Cette revendication a plus de quinze ans et, encore une fois, il ne s’est rien passé... »
Il faut dire que le gouvernement, Sophie Cluzel en tête, a tout fait pour que le combat législatif n’aboutisse pas. (...)
« Cela témoigne du stade dans lequel se trouve la lutte antivalidiste en France : en retard, comme tout le reste, les luttes antiracistes notamment », souligne Elena Chamorro, qui défend le caractère « intersectionnel » (imbriqué) des luttes. (...)
" Nommer les choses, c’est reconnaître leur existence : ne pas parler de race, c’est anéantir l’outil critique permettant d’analyser les mécanismes de l’oppression raciste ; nier l’existence du validisme, c’est la même chose. " (...)
Bonjour, merci d'être présent demain #deconjugalisationAAH pic.twitter.com/fKJ6H74dpH
— Sandrine BERNARD (@JadeIsis0658) December 1, 2021