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Slate.fr
Grève à iTélé : la revanche de la dignité contre le mépris d’en haut
Par Claude Askolovitch Journaliste
Article mis en ligne le 15 novembre 2016

Les salariés de la chaîne ont revoté la grève une journée, et décideront demain ou pas de la reprise du travail. Retour sur un mois d’une belle lutte.

De toutes les bêtises avenantes que l’on raconte dans le conflit d’iTélé, celle-ci est la plus courante, entendue jusque chez la ministre de la Culture, au moment où elle avançait heureusement l’autorité de l’État pour forcer l’empire Bolloré à négocier, avec les plus humbles de ses sujets. Elle a dit : « Itélé n’est pas une entreprise comme les autres. » Parce qu’elle serait l’information, cette valeur démocratique qui « ne se confond pas avec le divertissement », ce genre de chose… (...)

Itélé est une entreprise comme les autres.

Elle a même été, quelques semaines, l’incarnation de toutes les entreprises qui subissent le mépris, la brutalité et l’incompétence, le bon plaisir et le droit divin, de dirigeants ineptes et intouchables. Ceci ne vaut que dans ce cas d’espèce. Cela ne parle pas « des patrons » ou « des actionnaires ». Mais de quelques-uns.

Itélé est une entreprise comme bien d’autres.

C’est pour cela que j’ai soutenu sa communauté. Parce qu’ils sont des amis. J’y ai travaillé, et j’en fus heureux. Parce qu’ils se battent contre une autorité impalpable, dans un groupe étrange où seule la volonté d’un homme s’impose, et pour cet homme, mes amis n’existent pas. Ils sont, mes amis, des poussières d’hommes, des transparents. Ils se sont dressés. Un mois. Vous savez ce que c’est, un mois ?

Les patrons de Itélé méprisent le travail. On peut mépriser le travail d’un sidérurgiste promis à la casse, ou d’un journaliste offert à Morandini. C’est la même chose. Contre le mépris, on offre son corps, son salaire.

Itélé est une entreprise magnifique, comme tant d’autres.

La rédaction d’Itélé est une des communautés humaines les plus belles que j’ai rencontré. Avant cette grève, je la savais aimable et bienveillante. Ce n’est pas rien et dans nos milieux, c’était déjà énorme. Avec cette grève, je l’ai vue, comme nous tous, brave, déterminée, belle, et porteuse de valeurs universelles. Pas l’information. La dignité. L’info, sans doute ? On en reparlera.

Il y a un paradoxe. Itélé a fait de l’information depuis dix-neuf ans. Elle n’a pas changé le monde pour autant. Elle a été une entreprise honnête, inventive par moments, décevante à d’autres. Il y a eu des paroles libres et fortes, des risques, des reportages à hauteur d’homme, des intelligences, mais aussi les shows piteux de Robert Ménard et d’Eric Zemmour. Il m’arriva d’en être. (...)

Elle n’a pas été immune de facilités. Nous n’avons pas été immunes. Mais il y avait dans cette chaîne une étincelle qui dépassait ce que l’on faisait à l’antenne. (...)

Itélé a donné un plus bel exemple au monde, en ne travaillant pas, qu’en dix-neuf années d’information quotidienne. Ses journalistes sont, politiquement, d’une bravoure simple –pas la bravoure des baroudeurs de l’info sous le feu, mais la bravoure des groupes en lutte. Ils disent quelque chose de simple ; qu’un patron ne peut pas tout ; qu’un actionnaire n’a pas tous les droits ; qu’on n’a pas le droit d’humilier les gens ; qu’il y a une limite. (...)

On ne sort pas indemne d’un tel mouvement. Dispersés ou unis, les Itélé sont devenus une force. Ils s’en souviendront. Quand ils traiteront, quelque part, tel ou tel mouvement social, ils se souviendront qu’ils ont été eux-mêmes des GoodYear, des Conti, des Gad, des AirFrance. Sans violence ni chemise arrachée ni pneu que l’on brule, mais ils ont été tentés, sans doute. Des salariés en lutte. Ils ne pourront plus, ensuite, en parler comme avant (...)

Se battre aussi longtemps, avoir été aussi beaux, pour redonner le micro passivement à des banalités politiciennes n’aurait aucun sens. Je ne sais pas ce qui arrivera. Je sais que la rédaction qui a résisté à Bolloré est de fait une rédaction révolutionnaire, au meilleur sens du terme.
Ne jamais arrêter

Je suis fier de ces jeunes gens –ils sont pour la plupart plus jeunes que moi. Je les admire. Ils ont plus mis en jeu leur existence, leur vie quotidienne. Ils n’avaient, de fait, pas le choix. Ils ont tous les choix maintenant, demain, et d’abord de tenir. Ça ne va pas être facile… C’est difficile, terrible, de travailler dans ces conditions, même après un conflit, et quand la grève cessera, ils seront seuls… Mais il peuvent faire passer, tous les jours, ce qu’ils ont compris d’eux-mêmes dans ce qu’ils raconteront. (...)

Il faudrait pouvoir ne jamais arrêter une grève. En tous cas dans sa tête. Dans le regard que l’on pose sur les autres et le monde. Dans la manière dont on regarde le patron, pour qu’il s’en souvienne. Et pour qu’on s’en souvienne, aussi.