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McDo réquisitionné, autogestion : les collectifs de quartiers nourrissent des milliers de Marseillais
Article mis en ligne le 25 avril 2020
dernière modification le 24 avril 2020

Depuis le début du confinement, face à l’absence de réactivité des pouvoirs publics marseillais, plusieurs groupes de citoyens organisent des collectes et des distributions de nourriture au profit des personnes les plus touchées par le ralentissement économique. Un élan d’une impressionnante efficacité, indispensable alors que l’aide publique, arrivée tardivement, reste très insuffisante. Reportage

On pourrait croire à un parcours d’obstacles de fortune, pour distraire les enfants pendant le confinement : une ligne de sacs, cabas et chariots de différentes formes et couleurs, posés à un mètre de distance les uns des autres, serpente au pied des deux barres de douze étages où le linge qui sèche caresse les paraboles. Il n’est pas encore 10h, à Maison Blanche, une cité décrépie des quartiers nord de Marseille où vivent plus de 1300 personnes. La distribution doit commencer à midi, et aucun enfant ne joue à sauter par-dessus les sacs. Ils sont restés à la maison – pour certains, un logement insalubre – pendant qu’un de leurs parents est venu récupérer un colis alimentaire.

« J’ai mis mon sac là pour marquer ma place », pointe Saleha, mère de deux enfants de cinq et huit ans, habitante de la cité Jean-Jaurès voisine. « Mon mari est malade du dos, il ne peut pas travailler. Avec seulement deux RSA, et les enfants qui n’ont plus la cantine, c’est compliqué », soupire-t-elle, le voile rabattu sur sa bouche et son nez en guise de masque. « Moi je suis arrivée à 8h, mais certains posent leur cabas dès 6h du matin », assure-t-elle. La file de sacs contourne la barre d’immeuble pour s’étirer sur plus de 500 mètres derrière le bâtiment.
« Le peuple aide le peuple »

Depuis un mois, ces distributions ont lieu les lundi, mercredi et vendredi. À chaque fois, plusieurs centaines de personnes se présentent. (...)

Ce chauffeur de car de 28 ans coordonne le groupe d’une douzaine de bénévoles – dont trois ados rigolards et motivés – qui s’activent dans un local sombre au rez-de-chaussée d’un des immeubles, du rap en fond sonore, pour préparer les paquets de pâtes, les bouteilles d’huile, les boîtes de sardines ou les jus de fruits qui viendront remplir les sacs. (...)

Ce n’est pas une association caritative ou un centre social qui a mis en place cette distribution alimentaire, mais un collectif de simples citoyens, habitants de la cité, ou qui, comme Naïr, y ont grandi mais n’y vivent plus. « Nous avons créé ce collectif il y a deux ans, après la mort de Marie, une petite fille de six ans qui est tombée d’un balcon du 12e étage. On a commencé à s’organiser seuls pour sécuriser les abords de la cité, faire des ateliers de danse ou des sorties pour les enfants », raconte le jeune homme, figure charismatique du quartier. Sur un muret derrière lui, un graffiti : « Le peuple aide le peuple ». Lorsqu’un incendie a ravagé l’un des immeubles de la copropriété en août dernier, le collectif a négocié avec la préfecture et la mairie pour reloger les 24 familles touchées. Ce sont aussi eux qui ont « raisonné » les plus jeunes en février, lorsque Mehdi, 19 ans, impliqué dans un braquage, a été tué par des policiers [1]. Une énorme banderole « RIP Mehdi » [pour « Rest in peace », repose en paix] sur fond noir couvre d’ailleurs l’un des murs du local. (...)

Autant dire que Naïr et ses comparses n’en sont pas à leur coup d’essai en termes d’auto-organisation. Alors que la ville de Marseille a attendu la troisième semaine du confinement pour annoncer une aide financière pour certaines familles précaires, il leur a paru naturel de réagir dès sa proclamation. (...)

Le Secours populaire leur a livré 150 colis alimentaires les trois premières semaines du confinement, des commerçants de la ville donnent des palettes de produits, et une cagnotte en ligne a permis de récolter plus de 7800 euros. Malgré tout, le groupe a vite été submergé. (...)

Le Secours populaire leur a livré 150 colis alimentaires les trois premières semaines du confinement, des commerçants de la ville donnent des palettes de produits, et une cagnotte en ligne a permis de récolter plus de 7800 euros. Malgré tout, le groupe a vite été submergé. (...)

Une population déjà précaire que le confinement vient encore fragiliser, des dispositifs d’aide publique absents pendant trois semaines, puis insuffisants, des associations caritatives obligées d’interrompre leurs actions : cette « recette de la misère » pousse de nombreux citoyens marseillais à mener des actions de solidarité spontanée depuis fin mars. Dans les quartiers populaires, ce sont souvent les professeurs des écoles qui, les premiers, ont lancé l’alerte, craignant que leurs élèves, dont certains faisaient leur seul vrai repas de la journée à la cantine, ne mangent plus à leur faim. Via des cagnottes en ligne – on en recense une dizaine à ce jour –, ils achètent des aliments qu’ils redistribuent aux familles, directement dans les écoles. La municipalité a accepté la semaine dernière qu’elles servent de lieu de distribution.

Dans le 3e arrondissement, où un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté selon l’Insee, un groupe d’entraide citoyen a mis en place une permanence téléphonique quotidienne de deux heures et un système de « compagnonnage », inspiré d’une expérience italienne. (...)

Réquisition citoyenne d’un McDo transformé en plateforme d’aide alimentaire

La même colère face à l’inefficacité des autorités parcourt les collectifs informels, surtout lorsque des assistantes sociales en télé-travail renvoient des bénéficiaires vers ces bénévoles. Face à l’urgence, cette colère est devenue un puissant moteur pour l’action. Si les collectes et distributions de nourriture se sont mises en place aussi efficacement, c’est aussi grâce à l’expérience de réseaux militants expérimentés. À l’image du Collectif du 5 Novembre, créé après les effondrements d’immeubles de novembres 2018, qui collecte actuellement des dons pour les délogés.

Le Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM), impliqué dans le combat syndical du McDo de Saint-Barthélémy [2], dans les quartiers Nord, a rapidement imaginé que le restaurant – placé en liquidation judiciaire en décembre – pouvait devenir une plateforme pour organiser l’aide alimentaire. (...)

« Quand on a entendu le président à la télé parler de réquisition d’entreprises, on s’est dit "chiche !" », Salim Grabsi, Syndicat des quartiers populaires de Marseille (...)

Au total, environ 3000 colis sont livrés chaque semaine, permettant de nourrir entre 8000 et 10 000 personnes d’après Salim. « Les RG sont passés nous voir, et ont dit qu’ils étaient impressionnés par notre professionnalisme. La préfecture tolère cette réquisition malgré son illégalité, mais jamais ils n’auraient pensé qu’on serait capables de nourrir 10 000 personnes par semaine ! », se félicite-t-il. (...)

L’équipe des bénévoles rejoint l’arrière du McDo et, avant d’organiser une chaîne pour transborder la trentaine de sacs remplis de victuailles, applaudit quelques minutes le groupe de femmes en blouses blanches, qui les applaudissent en retour. « Nous sommes toutes des infirmières libérales. Comme on manquait cruellement de matériel de protection, on a décidé de démarcher directement les entreprises locales qui fabriquent les combinaisons, masques, ou gants, explique l’une d’elles, Handa Douafflia. La plupart acceptent de nous donner un peu de leur stock. Ensuite on redistribue aux infirmières de Marseille et sa région. » Grâce à elles, 180 infirmières libérales ont pu recevoir ce matériel, indispensable pour continuer de travailler sans mettre leurs patients ou elles-mêmes en danger. « Comme elles insistaient pour nous donner quelque chose en échange, et que nous ne ne voulions rien, on a fini par leur dire : “Collectez de la nourriture et on l’apportera au McDo de Sainte-Marthe”. » Un nouveau type d’échanges et de redistribution de richesses, l’humanité en prime. Un exemple à suivre pour le « monde d’après » ?