
L’ONG SOS Méditerranée n’a plus de bateau depuis que l’Aquarius a perdu son pavillon. L’association cherche un nouveau navire et entend reprendre ses actions de secours aux migrants avant la fin de l’hiver. Une nécessité impérieuse pour son président Francis Vallat, qui en témoignera le 18 janvier aux Assises nationales de la citoyenneté, organisées par Ouest-France.
Aquarius a été rendu à son armateur. La vidéo le montrant quittant le port de Marseille, le 1er janvier, nous a fortement émus… C’était un bon bateau. Nous l’avions aménagé. Il était devenu légendaire et symbolique. Il était aussi devenu, à ce titre, l’objet de manœuvres politico-judiciaires gouvernementales italiennes, de menaces… Il fallait s’en séparer pour mieux repartir en mer. Mais nous avons sauvé 30 000 personnes depuis 2016. 30 000 !
Quelle est la situation de SOS Méditerranée aujourd’hui ?
L’arrêt des activités de secours n’a pas empêché la poursuite des soutiens. Nous avons environ 45 000 donateurs rien qu’en France. L’association compte 19 permanents, un budget d’environ 4 millions d’euros par an pour les opérations. Il faut tourner la page Aquarius. Nous cherchons en ce moment, et allons trouver un autre bateau avec un pavillon permettant de continuer à sauver des vies. Nous y comptons bien pour ce trimestre. (...)
SOS Méditerranée a reçu ses premiers dons à l’automne 2015. Jusqu’à l’été 2017, les opérations de secours en Méditerranée ont été reconnues ; nous recevions même des prix prestigieux. Mais depuis l’été 2017, le basculement électoral de l’Italie et la fermeture de ses ports, tout est devenu politique et extrême. (...)
L’Italie se débrouillait seule, et généreusement, depuis 15 ans avec l’arrivée des migrants, mais les Italiens en ont eu assez du manque de solidarité européenne, il faut l’entendre…
D’ailleurs ce raidissement extrémiste, insensé et inacceptable a eu un avantage : l’Europe doit se préoccuper directement du problème, enfin ! Même si ce qui se passe aujourd’hui montre jusqu’à présent sa coupable impuissance. Sans compter que les ONG ne cessent d’être calomniées, criminalisées. Alors que nous avons toujours, toujours, respecté le droit. (...)
Il y a longtemps que l’inanité de la théorie de l’appel d’air (théorie qui dit que s’il y a des migrants, c’est parce qu’il y a des bateaux, NDLR) a été démontrée. Les conséquences de l’arrêt de l’opération « Mare Nostrum », fin 2014, ont montré l’incohérence de cet apparent et pernicieux bon sens : sans aucun bateau de sauvetage, les flux ont continué d’augmenter et seul le nombre de morts a explosé.
Non, ce qui menace le plus directement notre identité, c’est le renoncement à nos valeurs européennes humanistes. Moins de 150 000 personnes accueillies en 2018 pour 500 millions d’Européens… C’est le discrédit sur le plan international. Car ces gens meurent à nos portes en fuyant un enfer de tortures et de supplices que l’Union européenne fait semblant d’ignorer ! (...)
Le sauvetage, c’est très simple : on va en mer et on porte secours aux gens, ce qui a toujours été l’honneur des gens de mer et le principe sacré de l’assistance des personnes en danger. Vous ne rencontrerez personne qui vous dira, les yeux dans les yeux : « Il faut les laisser couler ». Alors, il faut aller au bout de notre logique, et sauver les naufragés comme nous le faisons, c’est-à-dire en haute mer avant qu’ils ne coulent. (...)
regardez ces deux bateaux, le Sea Watch et le Sea Eye, avec 49 migrants secourus, qui n’ont pu accoster qu’après trois semaines d’attente ! C’est insupportable. Mais nous continuerons. Et il faudra bien trouver des solutions permanentes : à un moment ou un autre nos États de droit n’auront plus le choix. C’est ce que nous réclamons depuis des années. (...)
Vous présidez SOS Méditerranée depuis près de trois années. Qu’est-ce qui vous éprouve le plus ?
Les images épouvantables lors de certains sauvetages. Les morts, ces corps qui flottent, ceux qui gisent au fond des embarcations. Les mensonges sur nos actions. Les amis qui ne vous parlent plus. Les agressions, les menaces. Mais on se cuirasse. Car il y a des vies derrière tout cela. Ça relativise tout le reste.
Qu’est-ce qui vous soutient dans ce combat ?
Certains regards, des échanges extraordinaires entre sauveteurs et personnes secourues. Et le professionnalisme des responsables et des équipes SOSM en mer et à terre aussi, leur engagement, leur dévouement. Nous n’avons qu’un seul but, sauver des gens. C’est une responsabilité supérieure et ils l’assument par simple humanité, sans aucune arrière-pensée politique (...)
Retrouvez Francis Vallat lors de Vivre Ensemble, la deuxième édition des Assises nationales de la citoyenneté, organisées par Ouest-France. Elles se dérouleront les vendredi 18 et samedi 19 janvier 2019 à Rennes au Couvent des Jacobins, Centre des congrès.