
Les entrepreneurs de l’éducation sont de plus en plus gros, de plus en plus divers et... de plus en plus présents. Y compris en France.
Un marché mondialisé de l’éducation émerge, on le voit moins bien depuis la France où l’école reste massivement publique et où ces évolutions ne sont pas très médiatisées. Il semble donc judicieux d’aller là où on en parle. Au Teacher Prize à Dubaï, par exemple, ou au Wise, un sommet international de l’éducation organisé au Qatar, à Doha, où j’étais début novembre, ces transformations sautent aux yeux, inquiètent, interrogent et donnent à réfléchir.
Le Wise pourrait s’apparenter à un mini Festival de Cannes de l’éducation. Derrière les têtes d’affiche –Michelle Obama cette année–, il y a une sorte de foire. Les acteurs sont variés : associations, représentants d’institutions publiques, think tanks de l’éducation, entrepreneurs sociaux, fondations, groupes privés… À commencer par les deux grands sponsors de l’événement : Exxon mobil et Santander. Ce dernier finance ou cofinance 4.500 projets universitaires en 2015 et affirme dépenser 116 millions d’euros par an. Du coté des fondations, on a pu voir au Wise un grand stand Lego. Si la fondation du même nom finance des projets éducatifs, l’entreprise compte aussi un département commercial éducation. Dans le même coin du hall d’exposition, juste à coté en fait, c’est le stand de la « ideas box », un époustouflant concept de médiathèque itinérante développé par Bibliothèque sans frontière.
Au Wise, j’ai aussi vu un corner LinkedIn. Le réseau social professionnel souhaite devenir un acteur de l’orientation, grâce aux informations collectées auprès des jeunes diplômés sur leurs expériences, aux classements des écoles, des universités. Bienvenue dans la big data de l’éducation. (...)
« Les écoles à but lucratif éduquent les pauvres en Afrique. » (...)
En France, la concurrence croissante du secteur privé
Oui, des « chaînes » d’école existent et elles franchissent les frontières. C’est le cas, par exemple, du réseau Gems, présent dans 12 pays, qui a partie prenante avec le Teacher Prize. Il possède notamment l’école des Roches en France. Pour l’heure, ces groupes ne représentent pas une menace réelle pour le service public même si le nombre d’écoles privées hors contrat augmente en France. Mais que se passerait-il si l’image du public se détériorait trop ? (...)
Dans l’enseignement supérieur, la percée des entreprises privées n’a rien d’une fiction. (...)
Florence Robine, directrice générale de l’Éducation nationale présente à Doha, est assez inquiète et même alarmiste :
« Nous allons assister à un déferlement des acteurs privés dans l’éducation, y compris primaire et secondaire. Les esprits n’y sont pas suffisamment préparés. »
La poule aux œufs d’or des cours en ligne
D’autant que d’autres secteurs se développent comme les edtech ou technologies numériques pour l’éducation. Un domaine contemporain en permanente évolution. (...)
Des initiatives à saluer
Et l’entreprenariat social dans l’éducation ? Il se développe ! Ashoka avait envoyé une petite délégation dans un événement parallèle au Wise, un incubateur de projets éducatifs. On a pu y voir 33 jeunes, les « learners » (ce qui sonne mieux qu’apprenants en français), défendre leur projet d’entreprenariat social pour l’éducation. Des projets à vocation sociale et solidaire pour fournir des cours ou du matériel pédagogiques dans des pays pauvres ou en proie à la guerre ou dans des États où les écoles sont attaquées comme au Pakistan. Pour donner un exemple concret, l’association française a crée la Ideas box, une médiathèque en kit itinérante destinée à apporter la culture et le savoir dans les camps de réfugiés. Des lieux où les individus, enfants compris, passent en moyenne dix-sept ans. La Ideas box vient de remporter le Google impact challenge en France, un prix « pour un monde meilleur », avec à la clef une prime de 500.000 euros. (...)
Exxon, Lego, LinkedIn, Coursera Google, quelques ONG et des jeunes entrepreneurs utopistes... Drôle de mélange, non ? Tous ces acteurs sont mus par une idée stimulante et pertinente au fond. Les entrepreneurs voient l’éducation comme un investissement et non comme une dépense. Un changement de regard qui devrait inspirer la conception des politiques publiques.