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Blog du Monde/Jean-Pierre Rosen, ancien juge des enfants
Face aux violences à enfants l’enjeu plus que jamais est certes de réagir mais surtout de prévenir. + table ronde le 8 février 2023 "Moi, enfant, j’ai des droits !"
#inceste #droits_de_l’enfant
Article mis en ligne le 13 octobre 2022
dernière modification le 12 octobre 2022

Deux précautions oratoires s’imposent en entame
– L’enfant doit être entendu comme la personne de moins de 18 ans.
On verra que l’enfance est elle-même scandée en séquences avec des seuils d’âge notamment ceux de 13 et 15 ans
– La violence est un concept relatif et subjectif. Les formes de violences sont variées ; la vie elle-même est violence puisqu’il s’agit d’un combat contre la mort ! Et qui est violence pour l’un ne l’est pas pour l’autre et nos sensibilités évoluent avec le temps sinon nos focus.

Les violences à enfants ne datent pas d’aujourd’hui y compris sous nos cieux.

Pour autant la prise de conscience, non seulement de la réalité, mais encore de l’impact de ces violences sur les enfants est récente. (...)

Il faudra attendre 2018 pour condamner les châtiments corporels sous le titre pudique de « violences de la vie ordinaire » en 28° position dans l’appel lancé en 2010 par le Conseil de l’Europe de 2011

  • Sous la pression des victimes, l’Église a mis en place la CIASE
  • Puis les pouvoirs publics eux-mêmes ont installé la CIIVISE en 2021

Ces rappels illustrent déjà la difficulté pour les pouvoirs publics et donc déjà par la société pour appréhender le sujet dans son existence même

2 – Ce n’est que depuis peu que l’on réalise l’ampleur du phénomène (...)

3 – Et surtout on réalise enfin l’impact de ces violences sur les victimes sur le cours de leur vie

  • conf. les propos de Mgr Barbarian devant la CIASE qui avoue avoir seulement mesurer récemment l’impact sur leur itinéraire de vie pour ces enfants agressés dans l’Église de France du fait même de l’interpellation de ces victimes
  • Rappel plus lointain, mais somme toute il y a si peu de temps, des propos d’Yvette Roudy sortant de commissariats en 1981 où les policiers lui avaient affirmé qu’après une bonne douche les choses iraient mieux pour les femmes agressées sexuellement ! Aujourd’hui aucun policier n’aurait ce type de propos

Le mouvement de conscientisation semble bien enclenché aujourd’hui et irréversible. (...)

I – Plus que jamais s’imposent des réponses pour sanctionner et faire justice aux victimes

Dans le temps de cette prise de conscience, les institutions ont dû évoluer mais beaucoup reste à faire.

Notamment la loi a été régulièrement adaptée, mais surtout améliorée (encore la loi du 7 février 2022 : notamment définition de la maltraitance, renvoi à user du référentiel de la HAS, référent dans les institutions.

Là encore sans toujours éviter des erreurs (ex. loi Schiappa 2018) ou sans négliger les limites de la seule condamnation législative : voter une loi est somme toute aisé, la mettre en œuvre plus compliqué !

1 Pourquoi ces difficultés ?

De multiples raisons.

Déjà la négation implicite par l’ensemble de la société que ce phénomène puisse exister puisque globalement le discours public le condamne et que nous sommes à un niveau de développement qui a dépassé le recours à la violence.

Quand 5,5 millions de personnes déclarent avoir été victimes on voit qu’il y a un fossé entre le sentiment et la réalité

La France patrie des droits de l’homme ne saurait maltraiter ses enfants. On parle plutôt (indument) de l’enfant-roi pour s’en inquiéter !

Un peu comme on découvre les violences trop souvent faites aux femmes quand voici 10 ans on rigolait devant le programme espagnol : la France – plus évoluée que l’Espagne – était au-dessus de cela. On voit ce qu’il est advenu au prix de 150 mortes par an.

Deuxième explication : la représentation profonde de l’enfant surannée : l’enfant appartient à ses géniteurs (...)

D’ailleurs ne dit-on pas avoir un enfant ; plutôt qu’être parent ? Le pouvoir plus que la mission (rappel de l’article 371 du code civil : un pouvoir pour veiller à l’éducaiton et à la protection

On parle encore d’abus sexuels sur mineur plus que de violences ! Or on n’abuse que de ce qui est légitime. Ici rien n’est légitime. Il n’y a pas un usage normal de la sexualité des enfants.

La difficulté demeure à quitter l’autorité parentale SUR les enfants pour affirmer la responsabilité parentale A leur égard. Le pouvoir est au service des missions : mission et pouvoir = responsabilité

Ce n’est que depuis peu qu’on tient l’enfant pour une personne (la CIDE 1989 dans le discours public relayant Françoise Dolto) (...)

Là encore le parallèle avec le sort fait aux femmes est illustrant :
Ex. : le viol entre époux n’a été reconnu seulement qu’en 1995 par la cour de cassation et en 2005 par la loi
La femme mariée n’appartenait-elle pas à son mari !

Résultats
 Il a fallu attendre 1892 pour que l’on protège spécialement les enfants des violences : à savoir des coups, mais aussi des négligences en posant une circonstance aggravante du fait de s’attaquer à un jeune enfant
 Les retards législatifs pour condamner les châtiments corporels (2019) mais aussi explicitement l’inceste en usant du mot tabou (2016)

Et on se rappelle la tolérance, pour ne pas dire la complaisance, à l’égard des violences sexuelles à enfants (conf. l’émission Apostrophe en 1990 de Bernard Pivot avec Mme Bombardier interpellant G. Maztneff sous les ricanements) : il était alors légitime et même tenu pour de bon ton d’aimer les enfant voire de leur rendre service en les guidant dans leur éveil la sexualité. On parait même du droit des enfants à l’amour. Aujourd’hui on parle de pédocriminels ! Les enfants ont droit à l’amour ; pas à ce que des adultes leur fasse.

2 – On a été et on demeure encore plus soucieux de protéger l’honneur des adultes que les enfants. La présomption d’innocence des adultes suscite plus d’intérêt que la protection l’innocence des enfants.

Dans le parole contre parole c’est l’accusé qui l’emporte contre l’infans ou la femme (...)

On doit trouver là l’explication de l’échec fondamental de la loi Schiappa en 2018 qui voulait inscrire dans le viol une présomption de non- consentement négligeant que juridiquement un accusé doit toujours pouvoir démontrer l’inanité de certaines accusations, en l’espèce l’absence de consentement. On se fourvoyait en restant dépendant de la preuve subjective du non-consentement. (...)

On a rectifié le tir dès 2021 en posant l’interdit criminel de la relations sexuelles d’une adulte avec un enfant. On quitte enfin le terrain miné de la subjectivité du consentement de l’enfant pour affirmer l’obligation faite à l’adulte de s’interdire toute relution sexuelle avec un enfant de moins de 15 ans (après avoir hésité sur 13 ans).

Le combat pour condamner les châtiments corporels est aussi exemplaire des résistances profondes. On l’a dépassé en 2019, mais en catimini, sans débat sur l’éducation sans violence. (...)

Autre avancée significative qui elle-même porte ses limites : la prescription comme frein à rendre justice
On a fait en sorte depuis trois décennies d’en retarder la mise en œuvre – elle part désormais de la majorité – et on d’en allonger le délai par rapport au droit commun – encore en 2016 où il a été porté à 30 ans pour un crime sexuel sur enfant, soit jusqu’au 48 ans de la victime alléguée-.

Fallait-il aller à l’imprescriptibilité ? Non. Pourquoi ? Il fallait garder le sens de la mesure. Dans l’horreur et l’abomination du fait des hommes il y a malheureusement encore pire comme les crimes contre l’humanité, mais le débat mérite d’être mené. Certain – M° Pettiti alors bâtonnier de Paris – visant les bordels philippins avec 1 million d’enfants prostitués parlent de crime contre l’humanité. Quand dans un pays 9% de personnes sont victimes de violences sexuelles on pourrait s’interroger.

A l’imprescriptibilité on a préféré en 2021 esquisser une autre réponse : dans l’hypothèse de délits multiples on introduit la prescription glissante. Si l’un des faits n’est pas prescrit tous ceux qui auront été » mis en évidence pourront être poursuivis. Mais pourquoi les seuls crimes sexuels ? Et les autres comme les meurtres ou les assassinats d’enfants … ou pas ?

En tout cas il convient d’éviter une grosse erreur : parler d’un droit à l’oubli pour les prédateurs ! Le propos est inaudible pour les victimes.

La grande avancée tient à ce qu’aujourd’hui on sépare l’absence de poursuites pénales du fait du temps passé et l’enquête sur la vérité des faits (circulaire justice 2022). La prescription acquise d’évidence n’empêchera pas d’investiguer. On sort ainsi du débat de la prescription et de la mobilisation classique de la justice

Ajoutons

  • qu’avec la loi du 5 mars 2007 on a singulièrement amélioré la détection des situations et leur traitement pour s’assurer d’une réponse (CRIP et Informations Préoccupantes). Sur le papier le dispositif est presque parfait, mais bien évidemment, chacun le sait, il ne fonctionne pas comme il le devrait. (...)
  • Des services policiers spécialisés d’investigation r, parfois articulés avec les médecins , ont été mis en place avec le relais associatif, mieux, sous l’impulsion des associations (Conf. le travail remarquable de la Fédération La voix de l’enfant avec Martine Brousse)
  • La réactivité des parquets a été renforcée, mais on est encore loin du compte, c’est le moins qu’on puisse dire
  • La sévérité judicaire est une évidence avec des sanctions pénales et civiles
  • Etc.

Reste, et on ne doit pas le gommer que

  • nombre d’affaires demeurent classées sans suite et sans traduction judiciaire ou sociale.
  • la place de la victime en justice demeure toujours difficile.
  • les réponses judiciaires ne sont pas nécessairement dans le bon registre pour les victimes qui ne cherchent pas toujours une condamnation ou des dommage (...)

II – Reste la question fondamentale :
Comment prévenir ces violences tant dans les familles où elles prospèrent généralement que dans les institutions ?

Il s’agit de mettre fin à des comportements criminels mais aussi d’éviter que d’autres prospèrent. L’enjeu n’est a pas seulement de répondre aux 5,5 millions de personnes victimes de violences sexuelles, mais de faire en sorte que demain il n’y en ait pas autant.

1 Il faut déjà s’attacher à prévenir la réitération des auteurs sans oublier de rendre justice aux victimes

1.1 Punir et mettre l’écart : une large marge de progression (...)

A – Améliorer encore le dispositif de recueil d’informations

Plus que jamais en libérant la parole des victimes. Pour cela il faut
– Dépasser des blocages : Oser parler quand trop longtemps la honte et la peur l’emportaient. Les prédateurs en jouaient d’ailleurs. Des démarches comme MeToo vont contribuer à percer ce plafond de verre
– Savoir qu’on a le droit de le faire sans y être obligé
o L’enfant à tout âge a droit de porter plainte : trop d’enfants l’ignorent et trop d’adultes aussi
o La police et la justice n’ont pas besoin de plainte pour agir – l’ordre public les y autorise- et le retrait d’une plainte ne paralyse pas la justice
– Garantir une protection immédiate et réelle à celui qui parle

Le faux problème du secret professionnel et de l’obligation de signaler
On craint souvent
– Des poursuites pour violation du secret professionnel
On n’a pas d’exemples dans notre domaine.
Les poursuites sont plutôt pour non-dénonciation !
Rappel : les professionnels qui signalent ne peuvent pas être sanctionnés disciplinairement (Conseil d’État)

*- Des poursuites pour dénonciation calomnieuse : le risque est certes réel de plaintes voire de poursuites, mais nul s’agissant de condamnation au regard de l’intention que l’on avait en transmettant une information préoccupantes voire en prévenant la police (...)

B Des thérapies pour les auteurs par-delà la répression pure et dure

Pas question revenir sur la nécessité de sanctionner et même sanctionner sévèrement les passages à l’acte avec une mise à l’écart de l’intéressé.

On peut cependant s’interroger sur la nécessité d’une incarcération prolongée pour l’inceste révélé : les risques de réitération – dixit dr Coutanceau and co – sont limités.

Mais des thérapies individuelles ou familiales peuvent être utiles pour éviter de nouveaux passages à l’acte.

Jusqu’à aller à des traitement chocs comme la castration chimique ou physique ? La question devra être posée.

La demande de soins est réelle de la part des auteurs.

2 – S’attacher à combattre le mal en profondeur dans la société pour sinon empêcher du moins réduire les risques de passages à l’acte (...)

2.1 La pédagogie du respect de l‘autre dès l’école doit compléter sinon étayer le travail éducatif qui doit être engagé très tôt dans toutes les familles quel que soit le milieu social. Cadre familial, milieu scolaire, médias et même la rue ont chacun un rôle complémentaire à jouer.
La modernité ici comme ailleurs tient dans le montée en puissance de l’influence des réseaux sociaux dans le culturation des plus jeunes, la modélisation des comportements et des rapports humains. On l’a déjà relevé sans contexte sur la sexualité souvent présentée comme simplement un acte charnel qui plus est dans un rapport de force.
Il va bien falloir qu’à un moment donné ces réseaux soient investis pour y tenir un contre-discours plus sain. (...)

2.2 La pédagogie de l’éducation sans violence et dans le respect de l’autre et des genres
Beaucoup de parents e sentent démunis de se voir interdire (parle code civil) de recourir à la violence pour « cadrer » leur enfants. On les a dépossédés de leur pouvoir et ils sont déroutés. Ceux-là confondent violence et autorité. On peut faire autorité sans élever le ton et sans frapper. Les enseignants le savent ! (...)

On a commis l’erreur d’adapter notre droit à la pratique commune des français sans faire l’effort pédagogique en direction de ceux qui sont les plus en difficultés. Plus que jamais « une école des parents » s‘impose

Plus largement, et l’un rime avec l’autre, c’est également un autre discours qu’il faut tenir sur l’enfant-personne comme il a été relevé plus haut.

2.3 La mise place de palpeurs sociaux et de services de proximité pour intervenir au plus tôt.

Reste qu’il ne faut pas abandonner les familles fragiles et leurs enfants sur le bord de la route.

C’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui et est d’autant plus aigüe que ces familles ne bénéficient pas du soutien de la famille élargie.

Or force et de constater que tous les pans du dispositif de protection médico-sociale de proximité sont au rouge. (...)

L’avenir s’annonce sombre pour les enfants concernés et donc indirectement pour notre société quand certains basculeront dans la délinquance. (...)

2-4 Assurer l’auteur éventuel de l’absence d’impunité pénale ou sociale : la fin de l’omerta

Il faut qu’il soit bien connu de tous que s’agissant de crime ou délits à enfants, a fortiori sexuels, que le prédateur aura toujours des comptes à rendre, certes devant sa conscience peut être devant la justice, mais surtout devant les victimes ou l’opinion. Certes la digue ne sera jamais totalement hermétique, mais elle jouera un rôle non négligeable
C’est-ce à quoi contribue la pratique du parquet de Paris d’ouvrir une enquête sur tous les faits révélés même apparemment prescrits et de rendre compte des résultats de cette enquête quand elle aura prospéré, pratique confortée et généralisée par la et circulaire Justice de2022

La meilleure des préventions : une politique globale de l’enfance, et spécialement une politique d’accueil de l’enfant : l’enfant désiré est a priori moins maltraité. (...)

Bref beaucoup se fait déjà ; on ne pas le nier mais ne nous leurrons pas : beaucoup reste à faire. Les prochaines préconisations de la CIIVISE ne manqueront pas de raviver le débat. (...)

Lire aussi :

Moi, enfant, j’ai des droits !

Table ronde
Samedi 8 février 2023 à 10h 30
au Kursaal, salle Proudhon à Besançon

Avec en visioconférence :

Jean Pierre ROSENCZVEIG, Ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny https://www.lemonde.fr/blog/jprosen/

Martine PINELLI de l’UNICEF

Dr Haas, psychiatre de la Maison verte

Médiation : Camille Blanc, ancienne présidente d’Amnesty France

(...)