
Le tribunal administratif de Rouen vient de débouter la préfecture qui demandait aux gestionnaires de centres d’hébergement d’urgence d’exclure de leur dispositif « insertion » les étrangers en situation irrégulière faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire exécutoire. Une décision qui vient contredire les circulaires et les récents engagements du ministère de l’intérieur
En conséquence, ils annulent la lettre circulaire du 9 avril 2021 signée du directeur départemental de l’emploi, du travail et des solidarités (DETS) de Seine-Maritime qui prévoyait d’exclure du dispositif de l’hébergement d’urgence « insertion » les étrangers et étrangères sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Contactée, la préfecture fait savoir qu’elle « prend acte de la décision du tribunal administratif et n’envisage pas, en l’état, de faire appel ». « Il appartiendra à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités de prendre en compte la décision juridictionnelle », ajoute la représentation de l’État.
« Système de discrimination »
La censure du tribunal administratif de Rouen intervient dans un contexte politique particulièrement défavorable aux étrangères et étrangers. Dans une circulaire émise très récemment dans le sillage de l’affaire Lola, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, incite les préfets à exécuter toujours plus d’OQTF. « À la demande du président de la République, nous travaillons à vous donner les outils pour une application effective de la vérification des situations administratives des étrangers pris en charge indûment par l’hébergement d’urgence », écrit notamment le ministre.
En Seine-Maritime, le préfet appliquait déjà les volontés gouvernementales. Sauf que le tribunal vient d’en signifier l’illégalité. (...)
De longue date, la préfecture de Seine-Maritime fait preuve d’une fermeté particulière dans ses politiques vis-à-vis des étrangers et étrangères. Notre partenaire Le Poulpe a documenté, il y a plusieurs mois, la manière dont la représentation de l’État faisait tout, y compris des choses illégales, pour mener la vie dure aux étrangers et étrangères en quête d’une régularisation. (...)
« Les pratiques d’exclusion des étrangers sous OQTF s’utilisaient déjà dans certains départements français mais la préfecture de Seine-Maritime a été la première à les écrire dans des documents officiels », ajoute Bénédicte Vacquerel, déléguée nationale Cimade en Normandie. Cette dernière confère à la récente décision du tribunal administratif une portée nationale : « Si nous avions perdu, la décision aurait permis de formaliser et de généraliser une mise à l’écart des personnes sous OQTF en France. »
Les juges rouennais ont rappelé le droit en même temps qu’ils ont explicité la jurisprudence du Conseil d’État, plus haute instance de l’ordre judiciaire administratif.
« Pratique inadaptée »
À l’occasion du litige tranché à Rouen, la Cimade avait introduit une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). L’association entendait interroger l’éventuelle incompatibilité d’une jurisprudence du Conseil d’État, datée de 2016, avec « l’objectif à valeur constitutionnelle d’accès à un logement décent » et le principe constitutionnel « de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». Le tribunal administratif de Rouen a refusé de transmettre la QPC, au motif qu’elle ne présentait pas « un caractère sérieux ».
Ce rejet venait paradoxalement renforcer les positions de la Cimade : « Ces décisions [la jurisprudence du Conseil d’État de 2016 – ndlr], qui concernent l’office du juge du référé-liberté, n’impliquent pas une exclusion des personnes étrangères faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français exécutoire, ou dont les demandes d’asile ont été définitivement rejetées, du droit à accéder à un hébergement d’urgence, ni qu’elles ne pourraient plus se maintenir dans un tel hébergement. » De manière implicite, la justice administrative réaffirmait la nécessité d’appliquer le principe de l’accueil inconditionnel. (...)
L’on se demande bien désormais quel tour de passe-passe juridique le ministère de l’intérieur va sortir de son chapeau pour restreindre l’accès des étrangers et étrangères sous OQTF au dispositif de l’hébergement d’urgence, volonté clairement assumée dans la circulaire du ministre de l’intérieur évoquée plus haut. (...)