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Et si le loup était un bouc émissaire ?
Article mis en ligne le 17 janvier 2016

Les associations de défense du loup appellent à manifester samedi 16 janvier à Lyon contre « la chasse au loup ». De leur côté, les éleveurs rendent le prédateur responsable des difficultés qu’ils rencontrent. Mais la cause du conflit se situe sans doute dans l’industrialisation de la filière ovine.

Êtes-vous pro-loup ou anti-loup ? Le débat se résume souvent à cette question manichéenne. D’un côté, les éleveurs de moutons rappellent qu’ils sont des acteurs indispensables de la montagne, du paysage et de la ruralité. De l’autre, les associations environnementalistes défendent une espèce protégée. Les premiers sont accusés de vouloir la disparition du prédateur, les seconds sont soupçonnés de désirer la fin du pastoralisme. (...)

Mais ce débat cristallisé sur le loup ne cache-t-il pas d’autres enjeux ? N’empêche-t-il pas de réfléchir à l’avenir économique de la filière ovine ? C’est la question, parmi d’autres, que l’on s’est posée à Reporterre. Et il faut tenter de sortir du "tout noir, tout blanc", pour s’engager dans l’incertain de la zone grise. (...)

En fait, les difficultés économiques de la filière ovine ont commencé avant le retour du loup en 1992. En 1985, les services secrets français ont fait naufrager le Rainbow Warrior, navire de l’ONG Greenpeace, dans un port de Nouvelle-Zélande. L’affaire a entraîné un scandale et le gouvernement français, diplomatiquement très gêné face au pays océanien, n’a ensuite pas osé mettre de veto quand l’Union européenne a autorisé les importations de viande à bas prix de Nouvelle-Zélande.

Pour Jean-François Darmstaedter, la signification de cette affaire est claire : « Le loup n’est pas responsable [de la crise de la filière]. Les causes sont la désaffection du public pour la viande d’agneau et les importations de Nouvelle-Zélande ou du Royaume-Uni, qui permettent de vendre de l’agneau deux fois moins cher. »

En effet, selon l’Institut de l’élevage, la consommation de viande ovine a diminué de 3,8 à 2,7 kg par habitant entre 2004 et 2014. Par ailleurs, près de 60 % de l’agneau consommé en France en 2014 était issu d’importations. (...)

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Et si le loup était un bouc émissaire ?

01/16/2016
09:44
Reporterre
Marie Astier (Reporterre)
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Les associations de défense du loup appellent à manifester samedi 16 janvier à Lyon contre « la chasse au loup ». De leur côté, les éleveurs rendent le prédateur responsable des difficultés qu’ils rencontrent. Mais la cause du conflit se situe sans doute dans l’industrialisation de la filière ovine.

Êtes-vous pro-loup ou anti-loup ? Le débat se résume souvent à cette question manichéenne. D’un côté, les éleveurs de moutons rappellent qu’ils sont des acteurs indispensables de la montagne, du paysage et de la ruralité. De l’autre, les associations environnementalistes défendent une espèce protégée. Les premiers sont accusés de vouloir la disparition du prédateur, les seconds sont soupçonnés de désirer la fin du pastoralisme.

Par plaquettes d’information interposées, les parties assènent leurs arguments. Cap Loup (un regroupement d’associations proloup), veut « en finir avec les contrevérités ». Du côté de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), on veut « rétablir les vérités ». À la Confédération paysanne, on se méfie des « idées reçues ».

Mais ce débat cristallisé sur le loup ne cache-t-il pas d’autres enjeux ? N’empêche-t-il pas de réfléchir à l’avenir économique de la filière ovine ? C’est la question, parmi d’autres, que l’on s’est posée à Reporterre. Et il faut tenter de sortir du "tout noir, tout blanc", pour s’engager dans l’incertain de la zone grise.
« Le loup frappe de façon arbitraire »

Reprenons les arguments développés dans nos plaquettes. Pour les défenseurs du prédateur, « les difficultés des éleveurs étaient présentes avant le retour du loup ». Au contraire, « l’élevage de montagne résiste bien, si on ne lui impose pas le loup ! » répond la FNSEA. « Les loups [poussent] toujours plus d’éleveurs à enfermer leurs animaux. L’Europe pratique une politique qui favorise essentiellement l’agro-industrie », déplore de son côté la Confédération paysanne.

Alors, le loup est-il en train de détruire l’élevage ovin à petit feu ? « Le loup, c’est le facteur qui a mis en lumière le malaise économique de la filière ovine, estime Jean-François Darmstaedter, président de l’association de défense du loup Ferus. Mais il n’a pas d’impact économique, il n’y a que quelques milliers de victimes par an [sur un troupeau de près de 4 millions de brebis allaitantes en 2014]. Et pour certaines, on n’est même pas sûr que le loup soit responsable. Et surtout, les brebis tuées sont entièrement remboursées. »

Les éleveurs observent que l’affaire est plus compliquée que cela. « On nous rabâche qu’on est indemnisés, commence Claude Font, responsable du dossier loup à la Fédération nationale ovine (FNO), branche de la FNSEA. Mais on ne l’est pas pour les brebis qui disparaissent. Et puis, il y a les conséquences indirectes sur la productivité des élevages : les avortements de brebis, la perte de croissance des agneaux, etc. »

La Confédération paysanne estime, elle, que « seulement deux animaux sur trois sont effectivement indemnisés ». Elle insiste sur « les constats [après les attaques] longs et fastidieux. Il faut parfois accompagner les agents pendant de longues heures, puis passer sa journée, voire plusieurs jours, à rassembler le troupeau éparpillé suite à l’attaque. » « Les petits troupeaux ont beaucoup de problèmes pour faire face au travail supplémentaire que demande la présence du loup », estime Olivier Bel, éleveur en charge du dossier loup pour le syndicat.

Et puis, « le loup frappe de façon arbitraire. Il peut détruire en une attaque un travail de sélection génétique de dix, vingt ans sur le troupeau », complète Guillaume Lebaudy, ethnologue et directeur de la Maison du berger, lieu de recherche et d’accueil du public sur les questions pastorales à Champoléon, dans les Hautes-Alpes.
Le naufrage du « Rainbow Warrior »

En fait, les difficultés économiques de la filière ovine ont commencé avant le retour du loup en 1992. En 1985, les services secrets français ont fait naufrager le Rainbow Warrior, navire de l’ONG Greenpeace, dans un port de Nouvelle-Zélande. L’affaire a entraîné un scandale et le gouvernement français, diplomatiquement très gêné face au pays océanien, n’a ensuite pas osé mettre de veto quand l’Union européenne a autorisé les importations de viande à bas prix de Nouvelle-Zélande.

« L’agneau valait 30 francs le kilo dans les années 1980. Aujourd’hui, on reste à peu près au même prix, soit 6,50 euros le kilo. On est toujours en-dessous des coûts de production », regrette Olivier Bel, de la Confédération paysanne.

Pour Jean-François Darmstaedter, la signification de cette affaire est claire : « Le loup n’est pas responsable [de la crise de la filière]. Les causes sont la désaffection du public pour la viande d’agneau et les importations de Nouvelle-Zélande ou du Royaume-Uni, qui permettent de vendre de l’agneau deux fois moins cher. »

En effet, selon l’Institut de l’élevage, la consommation de viande ovine a diminué de 3,8 à 2,7 kg par habitant entre 2004 et 2014. Par ailleurs, près de 60 % de l’agneau consommé en France en 2014 était issu d’importations.

Mais « la production ovine va mieux que par le passé, conteste Claude Font, de la FNO. On a mis sur le marché des labels de qualité pour distinguer la viande française. Et puis nos revenus se sont améliorés depuis la réforme de la PAC [Politique agricole commune] qui s’est appliquée à partir de 2010. »

Un optimisme que ne partage pas Olivier Bel à la Confédération paysanne. Tous les élevages n’ont pas été gagnants avec la PAC, selon lui : « Pour faire face à la dégringolade des prix, l’Europe a mis en place des primes compensatrices. Cela a poussé les gens à avoir de plus en plus de bêtes, pour avoir plus de primes. » Le loup est arrivé dans une bergerie déjà fragilisée ; et en voie d’industrialisation.
Les petits troupeaux souffrent le plus, les gros s’en sortent

Autre handicap, la Confédération paysanne a calculé que les petits éleveurs – ceux ayant moins de 500 brebis – sont les plus vulnérables aux attaques du prédateur. « En 2013, les troupeaux de plus de 1.200 animaux rassemblent 21 % des constats. On atteint 40 % sur les troupeaux de moins de 450 animaux », détaille un document du syndicat paysan.

Plus le troupeau est important, plus les aides de l’État à sa protection sont importantes, et plus l’éleveur a les moyens de se protéger. Le syndicat demande donc, notamment, que les éleveurs de moins de 450 brebis puissent décider eux-mêmes du nombre de chiens de protection dont ils ont besoin en fonction de la pression du prédateur. (...)

Certains avancent même que le loup ne serait pas un vrai problème pour les plus gros. Dans les grands troupeaux (1.000 voire 2.000 brebis et au-delà dans les alpages), le capital génétique est moins précieux, les bêtes sont plus facilement remplaçables. Il serait alors aisé de s’accommoder des indemnités, parfois supérieures au prix qu’aurait pu obtenir l’éleveur en vendant ses bêtes. Au sein de la FNSEA, ces gros éleveurs tiendraient alors un double discours : ils crient au loup pour satisfaire les adhérents victimes des attaques et détourner l’attention de sujets qui pourraient les diviser, comme la répartition des primes de la PAC.

Le loup pourrait donc accélérer le processus d’industrialisation de la filière ovine. (...)

pour que cet élevage paysan soit viable, reste la question de la protection des troupeaux… Les éleveurs, éreintés par les attaques, doutent qu’une cohabitation sereine soit possible. Ils réclament la possibilité de tuer le prédateur quand il attaque leurs troupeaux. Les défenseurs du prédateur excluent, eux, toute possibilité de tuer des loups, affirmant qu’il est possible de réduire les attaques au minimum avec une bonne protection. D’autres questions, un autre débat. Un prochain article ?