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Bondy Blog
Esclave et torturé en Libye, Mamadou, réfugié soudanais, se reconstruit doucement dans la vallée de la Roya
Article mis en ligne le 9 août 2017

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné ce mardi Cédric Herrou à 4 mois de prison avec sursis pour avoir pris en charge quelques 200 migrants sur le sol italien. Le Bondy Blog vous propose de (re)lire le portrait de Mamadou, réfugié soudanais, qui se reconstruit depuis un an à Breil, village de la vallée de la Roya, là-même où l’agriculteur a été arrêté pour aide aux migrants.

C’est un samedi soir comme les autres fin novembre. Françoise Cotta vient d’accueillir chez elle deux Guinéens. Ils sont éreintés et viennent de franchir la frontière franco-italienne. Mamadou les cherche, Françoise les a installés dans une chambre à l’étage. “Je vais leur monter quelque chose à manger”. Françoise a beau lui dire qu’ils n’ont pas faim, il insiste. On ne sait jamais, ils pourraient être gênés et ne pas oser accepter. Une voisine nous glisse à l’oreille : “Souvent il leur fait visiter les lieux, et les installe dans les chambres”. Dans son entourage récent, tous s’accordent à vanter la générosité du Soudanais. On le dit “toujours prêt à aider”, et malgré des moments de tristesse, il arbore “en permanence un sourire chaleureux”. (...)

Au Darfour, avant que la guerre civile ne déchire le Soudan, il étudiait les sciences politiques. En France, même si avec la demande d’asile, tout n’est pas facile, il découvre un havre de paix où il peut apprivoiser son quotidien. Loin des violences qu’il a subies à plusieurs reprises en Libye. (...)

“Les problèmes ont commencé quand on est arrivé dans le désert libyen”. Avec ses compagnons de galère, Mamadou a croisé “plein de milices différentes, elles avaient en général trois ou quatre voitures et des armes lourdes ou des lance-roquettes”. À chaque fois qu’il rencontre des groupes armés, raconte-t-il, le même sentiment d’impuissance le paralyse. Les premiers miliciens sur sa route forcent le groupe de “voyageurs” à travailler pour eux. “Ils nous ont dit qu’on allait devoir creuser, qu’ils voulaient trouver de l’or, on a beaucoup creusé”. Jamais les migrants ne touchent leur paye, elle est donnée à une seconde milice.

C’est à partir de cet épisode que son enfer commence et qu’il est confronté à l’esclavage pendant plusieurs mois. Les miliciens séparent les femmes et les hommes de son groupe. Alors que les hommes croupissent un mois en prison, “pendant ce temps-là, les femmes étaient enfermées dans une maison et violées par les soldats”. Mamadou a les larmes aux yeux quand il évoque le sort des femmes et des enfants. Il dit avoir réussi à survivre face aux hommes armés en parlant, plaisantant et en restant calme. L’humour l’a déjà sauvé, du moins un rire grinçant. Un jour, des soldats ont menacé de le tuer lors d’un contrôle. “Devant l’absurdité de la situation, cette manière complètement irrationnelle de choisir qui vit et qui meurt, j’ai eu un fou rire. Les soldats m’ont demandé pourquoi je riais, je leur ai expliqué. Je m’en suis sorti comme ça. Une autre fois, j’ai chanté et dansé !“, se souvient-il.
“Si vous voulez me tuer, d’accord mais pas devant les bébés !”

Le rire est souvent proche des larmes dans le parcours de Mamadou. “La seule chose qui me mettait hors de moi, c’était lorsque les miliciens se conduisaient de manière violente devant les femmes et les enfants”. “Si vous voulez me tuer, d’accord mais pas devant les bébés’ !’, s’est-il surpris à dire à un homme armé qui menaçait de l’exécuter (...)

Il raconte peu d’éléments de sa vie d’esclave, mais chaque souvenir lui coûte. A plusieurs reprises, il a besoin d’aller souffler avant de continuer son témoignage. Son ange-gardien, Françoise, peut-être consciente de son effort, vient apporter des châtaignes grillées pour réchauffer son protégé. Une apparition bienveillante qui lui redonne de la force pour reprendre la discussion. Fini le temps des abus et des coups, à la Roya, Mamadou est protégé.

Résilience et spiritualité

Mamadou n’est pas amer de son vécu. Quand nous lui demandons ce qui lui a permis de garder espoir et d’avoir la force de traverser ces mois des violences, il ferme les yeux et cherche ses mots. “Quand j’ai été enfermé en prison en Libye, j’ai puisé beaucoup de force en pensant à des choses légères et lumineuses. Je fermais les yeux et me focalisais sur la lumière à l’intérieur. Ça recouvre tous les soucis même quand quelqu’un me frappais”. (...)

Mamadou commence à faire des projets. “Je vais commencer des cours de français à Nice en février”. Dans sa longue marche pour revivre, Mamadou mène un véritable combat contre son passé douloureux qui a tendance à ressurgir. Il est sujet à des flashs, des éléments traumatiques qui lui reviennent en mémoire. Il n’utilise pas ces termes, il dit qu’il “se souvient“. Le bruit des tirs d’armes automatiques résonne encore dans sa tête, mais ces échos douloureux “ne décideront pas ma vie” répète-t-il. Pour évacuer la peine, il n’a pas honte de le dire : “Parfois je pleure quand les souvenirs remontent. Je m’isole dans un coin et alors je pleure toutes les larmes de mon corps. Ça m’apaise un peu”.

À la Roya, Mamadou s’est reconstitué une famille. (...)