
En 1848, la France abolit l’esclavage. 170 ans plus tard, l’esclavage existe toujours. Les esclaves modernes sont invisibles aux yeux de la société. Et les moyens de lutte sont encore limités. Entretien avec la présidente du comité contre l’esclavage moderne, Sylvie O’Dy.
. Des enfants, des femmes, des hommes, dont les droits en tant que personne, sont bafoués. L’esclavage moderne revêt différentes formes : l’esclavage domestique, les ateliers clandestins, la mendicité forcée, et la prostitution forcée. L’arsenal juridique pour lutter contre ces exploitations n’est pas encore totalement efficient. Entretien avec Sylvie O’Dy, ancienne journaliste et présidente du comité contre l’esclavage moderne. (...)
Nous avons aidé entre 650 et 700 personnes depuis 1998. La voie choisie pour les accompagner a été judiciaire. La France est un pays de droit, l’esclavage a été aboli en 1848. Ainsi, nous voulions aller devant les tribunaux. Mais cela a été extrêmement difficile et compliqué, car avant tout, personne n’y croyait. On nous disait que cela ne pouvait pas exister en France, que c’était absolument impossible. A cela s’ajoute qu’il n’y avait pas de textes de loi, d’articles du code pénal correspondant à ces faits.
Les premiers procès ont eu lieu en 1998. Je crois que nous sommes aujourd’hui à plus de 250 procès, dont deux affaires, portées jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, au terme de procédure extrêmement longue. La France a été condamnée une première fois en 2005, pour ne pas avoir permis à une jeune fille d’obtenir justice pour la situation qu’elle avait vécue en France. Cette condamnation a donné une base de jurisprudence importante. Nous avons donc continué à essayer de mobiliser la société et les pouvoirs publics, ce qui était très difficile.
La prise de conscience a été lente et l’est encore actuellement. Nous sommes ensuite allés une deuxième fois devant la Cour européenne des droits de l’homme, en 2012. La France a de nouveau été condamnée, pour ne pas avoir traduit dans son droit les textes internationaux, de l’ONU, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
Ce qui a donné naissance à la loi du 5 août 2013 ?
Oui, cette année-là, les députés se sont auto-saisis. Ils ont demandé l’introduction dans le code pénal d’un article sur l’esclavage, la servitude et le travail forcé. Cette loi, nous la réclamions depuis très longtemps. Nous nous sommes battus et sa promulgation a été une grande satisfaction. (...)
avant d’aller devant les tribunaux, il existe un autre problème, encore plus prégnant, selon moi : l’identification des victimes. Très concrètement, nous recevons des signalements, par téléphone et sur notre site internet. Des signalements qui proviennent généralement de voisins, des points d’accès au droit, des hôpitaux, des instituteurs, etc. A partir de là, nous vérifions tous ces signalements, et s’enclenche ensuite un processus assez complexe pour arriver jusqu’à la victime et connaître sa situation. S’il y a une urgence, nous prévenons la police. Vient après l’enquête de police, et pour qu’elle reconnaisse le statut de victime, le chemin est long, car souvent il n’y a pas assez de preuve. (...)
Il y a une majorité de femmes, des jeunes filles, parfois même des petites filles en situation d’esclavage domestique. Il y a des mariages forcés, où des jeunes filles sont épousées pour servir de domestique à toute une famille. Mais l’esclavage concerne également des hommes, en situation de travail forcé : dans le bâtiment, l’agriculture, la restauration, l’artisanat, ou de petites entreprises. Ils rapportent beaucoup d’argent aux exploiteurs car ils travaillent 15 heures par jour sans aucun salaire. Ils sont nourris de la manière la plus basique possible, et vivent dans des containers ou dorment sur le sol.
Ce sont des phénomènes invisibles, il faut vraiment aller les chercher pour les trouver. Ces esclaves modernes sont en majorité des personnes étrangères, d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb, d’Érythrée. Les exploiteurs les font venir en France. (...)
Ce qui caractérise toutes les victimes, c’est leur vulnérabilité.
Les victimes plus âgées viennent d’Asie du Sud-est, des Philippines, d’Indonésie, ou de Sri Lanka. Elles viennent souvent par le biais d’agence, qui leur font la promesse d’un travail décent, d’un salaire et de papiers. Elles arrivent la plupart du temps sur le territoire avec un visa touristique ou avec de faux papiers.
Aujourd’hui, avec les mouvements de migrations, beaucoup de personnes arrivent via l’Italie, et se trouvent dans une grande situation de vulnérabilité. Les exploiteurs, souvent des passeurs, en profitent.
Mais il existe aussi des victimes françaises, des personnes avec des déficits intellectuels.(...)