
Sans les engrais de synthèse, est-il possible de nourrir la population ?
L’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales a longuement travaillé sur la question : nous avons les moyens de nourrir la population sans engrais chimiques d’ici à 2050, à condition de mettre fin au gaspillage alimentaire et de réduire drastiquement notre consommation de produits carnés.
Pourtant, les lobbies de l’agroalimentaire et les multinationales des engrais chimiques tels que Yara ou Roullier dépensent des millions pour nous faire croire le contraire. Ils tentent d’influencer les politiques publiques pour continuer à vendre massivement leurs produits, et laisser miroiter les bienfaits des engrais de synthèse en occultant la réalité des impacts écologiques et climatiques.
Quels sont les problèmes majeurs posés par le recours aux engrais de synthèse ?
Un danger pour le climat et les humains
Une partie des engrais azotés épandue sur les sols s’échappe sous forme de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant 265 fois supérieur au dioxyde de carbone. (...)
En France, 43 % des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture sont des émissions de protoxyde d’azote (...)
Un autre problème se pose : du gaz fossile est nécessaire à la production des engrais de synthèse. C’est pour ça que l’agrobusiness des engrais investit massivement l’exploitation des énergies fossiles… Entre nos vies et leur profit, ces multinationales ont fait leur choix. Depuis les années 1960, la consommation d’engrais de synthèse a augmenté de 800% au niveau mondial !
Un cocktail nocif pour l’air et l’eau
Au-delà des risques climatiques et industriels posés par la production et l’utilisation des engrais chimiques, les impacts sur l’environnement sont également importants.
Une partie de ces engrais de synthèse s’évapore dans l’air sous forme d’ammoniac, à l’origine de particules fines nocives pour la santé et les milieux naturels.
Mais ce n’est pas tout. Si une partie des engrais chimiques s’évapore, une autre s’infiltre quant à elle dans les sols, entraînant une dégradation et une pollution des eaux. (...)
Les retombées de la pollution par l’azote sont considérées comme l’une des plus grandes externalités globales auxquelles le monde est confronté, impactant l’air, l’eau, les sols et la santé humaine », souligne la Banque mondiale dans un rapport publié en septembre 2019. (...)
Quelles sont les alternatives concrètes aux engrais chimiques ?
Remplissons nos assiettes de légumineuses !
Vous ne le saviez peut-être pas mais les légumineuses (pois chiches, lentilles, soja…) constituent une alternative aux engrais de synthèse. Pour qu’une plante pousse rapidement, il lui faut beaucoup d’azote présent dans l’air qu’elle a souvent du mal à assimiler seule, d’où l’utilisation des engrais chimiques qui permettent de faciliter le processus et l’aident à pousser. Mais les légumineuses sont dotées d’un pouvoir par rapport aux autres : elles sont capables de s’approvisionner elles-mêmes en azote, sans apport extérieur… En outre, pas besoin d’engrais chimiques pour les cultures de légumineuses !
Les légumineuses sont aussi indispensables pour la biodiversité. Attention cependant : il ne faut pas que la réintroduction de légumineuses en France se fasse sous forme de monocultures de soja dépendantes en intrants chimiques (engrais, pesticides) pour l’alimentation animale, sinon aucun problème n’est résolu. La production de légumineuses doit être diversifiée et être avant tout destinée à l’alimentation humaine.
Repenser l’élevage
A moins d’être un·e expert·e en agriculture, difficile au premier abord de faire le lien entre l’élevage et les engrais de synthèse. Et pourtant. (...)
le système de spécialisation des régions en France, où l’élevage est concentré dans certains territoires comme la Bretagne par exemple, empêche une utilisation optimale des fertilisants naturels sur d’autres territoires.
Réciproquement, c’est l’usage massif d’engrais azotés qui a permis le développement de l’élevage industriel en permettant aux cultures végétales de se passer des déchets animaux.
Il faut donc aujourd’hui repenser des élevages au plus proche des cultures agricoles. (...)
Pour transformer en profondeur notre système agricole et alimentaire d’ici à 2050, il faudrait une réduction de 40 % de la production animale en Europe et de -50 % en France.
Que souhaitent les premiers concernés, les agricultrices et les agriculteurs ?
Si l’addiction aux engrais de synthèse dans le monde agricole en France est devenue une réalité depuis les années 1960, il n’en reste pas moins que les solutions existent ! Mais pour cela, encore faut-il que les mesures politiques, les lois et les réglementations évoluent radicalement pour soutenir massivement les agriculteurs·rices qui subissent aujourd’hui une pression insoutenable.
Dans une tribune publiée sur le site du journal Le Monde ce mois d’avril 2021, une cinquantaine d’agriculteurs et agronomes exigent des mesures publiques structurantes afin de soutenir la mise en place des alternatives aux engrais de synthèse. En 2019, l’achat d’engrais représente 14,1 % des consommations d’une ferme en France en moyenne !
Comment faire bouger les lignes au niveau politique ?
Au niveau européen
Chaque année, 9 milliards d’euros sont injectés dans le secteur agricole français via la Politique Agricole Commune européenne. Alors où va cet argent ? On peut légitimement se poser la question au regard des crises profondes que traverse le monde paysan.
Depuis plus de 10 ans, ces subventions publiques viennent alimenter un système productiviste à bout de souffle, en soutenant massivement l’industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation. Les conséquences ? de moins en moins d’agricultrices.eurs, des conditions de travail toujours précaires, des pollutions subventionnées, La liste est longue.
Le manque de volonté politique est criant, et les intérêts économiques de quelques multinationales de l’agro-industrie semblent prévaloir sur l’ensemble des besoins des agriculteur·trices, des consommateurs·rices et de la planète.
Pourtant, nous avons une opportunité de prendre un virage agroécologique en ce moment même. Dans les coulisses du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le Plan Stratégique National doit permettre de décliner la politique agricole commune en France. Cet outil est stratégique pour donner aux agricultrices et aux agriculteurs une orientation claire pour déployer une transition agroécologique d’ici à 2027. A l’heure actuelle, les propositions et discussions ne présagent pourtant rien de bon (...)
Au niveau français
La Loi Climat en cours de discussion au Parlement doit en toute logique tenir compte de la nécessaire transformation du système agricole et alimentaire.
L’année dernière, 150 citoyen·nes ont proposé des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de 40% en France d’ici à 2040. Les citoyen·nes ont ainsi proposé de mettre en place une redevance sur les engrais chimiques, dont les bénéfices (plus de 600 millions d’euros) seraient reversés aux agriculteurs·trices pour les accompagner dans des changements de pratiques. Mais alors que le président Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre sans filtre leurs propositions, il rejette aujourd’hui cette redevance. Quelles mesures fortes propose-t-il à la place ? Aucune.