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“En ville, les enfants ont un usage moins intensif des espaces publics qu’autrefois”
Leurs enfants dans la ville, Clément Rivière, Presses Universitaires de Lyon, 164 p., 18€.
Article mis en ligne le 28 novembre 2021
dernière modification le 27 novembre 2021

Peur des accidents, d’un inconnu malveillant… Les parents laissent de moins en moins leurs enfants seuls en ville. Et encore moins les filles. Clément Rivière, auteur d’une enquête passionnante sur le sujet, décrypte le phénomène.

Le sociologue Clément Rivière a interrogé la façon dont les parents, au quotidien, accompagnent leurs enfants dans la découverte de la ville, à Paris comme à Milan. Il publie aux Presses universitaires de Lyon une enquête passionnante, Leurs enfants dans la ville (2021). S’y révèlent bien des inégalités socio-économiques d’abord, genrées ensuite. (...)

Y a-t-il moins d’enfants dans les espaces publics urbains qu’autrefois ?

J’ai interrogé les parents sur leurs souvenirs d’enfance, et beaucoup ont en mémoire un usage plus intensif des espaces publics urbains à l’âge qu’ont leurs enfants. Tout un ensemble de recherches, de travaux de géographes, d’historiens mettent en lumière une diminution de la durée passée par les enfants dans l’espaces public et une diminution de leur rayon de mobilité autonome, sur les trois dernières décennies du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Il s’agit là d’une tendance qui s’accentue.
“La montée en visibilité massive dans le débat public de la question des enlèvements d’enfants date, en Europe, des années 90, avec l’affaire Dutroux.” (...)

Le risque de l’accident automobile est vraiment extrêmement présent dans les préoccupations des parents. Toutes les autorisations et les interdits qui accompagnent la prise d’autonomie des enfants sont très liés à la présence ou non de véhicules motorisés et à la vitesse de circulation. Aujourd’hui, certaines villes souhaitent devenir des lieux à hauteur d’enfant, mais on doit alors prendre au sérieux la question de la place de la voiture, et plus largement des véhicules motorisés. Les espaces perçus comme « protégés » par les parents sont des espaces où la circulation automobile est interdite ou très fortement régulée. (...)

Ces espaces « protégés » apparaissent un peu comme des îlots, autour desquels tout ne serait que danger… (...)

La deuxième peur des parents est la rencontre d’un inconnu malveillant. Pourquoi ?
La question des enlèvements d’enfants est montée massivement dans le débat public, en Europe, dans les années 90, avec l’affaire Dutroux. Le risque pédophile devient alors plus visible au quotidien, par le biais de la télévision, suscitant une fascination pour les faits divers qui impliquent des enfants. Au delà de cette crainte des normes sociales fortes pèsent sur les parents.

“Moins il y a d’enfants dans l’espace public, plus il est difficile d’en laisser un seul.”

(...)

Beaucoup de travaux sur les classes populaires montrent que l’enfance est perçue comme un moment privilégié qui doit être protégé, tenu à l’écart de tout un ensemble de difficultés d’ordre matériel, puisque la vie qui attend l’enfant par la suite risque d’être difficile sous divers aspects. Tandis que les familles à très haut niveau de diplômes vont davantage voir le futur dans le présent, et anticiper la suite dans les pratiques éducatives. Ils vont préparer l’autonomie, paradoxalement, par un encadrement plus fort en amont. (...)

La pandémie qu’on traverse collectivement a démontré combien la question du logement est cruciale, et quelqu’un qui ne voudrait pas le reconnaître serait de mauvaise foi. Les usages des espaces publics ne peuvent être compris qu’en n’interrogeant la qualité des espaces privés auxquels on a accès. (...)

Les enfants des catégories supérieures sont davantage absents des rues, c’est dû aux caractéristiques du logement principal : avoir une chambre à soi, pouvoir jouer chez soi, inviter des copains, permet aussi aux parents de contrôler le réseau de sociabilité des enfants. Ce qui est évidemment beaucoup moins le cas quand on laisse les enfants aller jouer en bas de la tour. De même, si la famille dispose d’une résidence secondaire, l’enfant n’est pas là le week-end, ou en tout cas, pas un certain nombre de week-ends par an, et donc n’entretient pas le même rapport au quartier que des enfants qui vont passer quasiment toute l’année au même endroit. (...)

Si certains parents interrogés dans l’enquête peuvent être beaucoup plus critiques que d’autres sur cet état de fait, la quasi-totalité met en place des pratiques d’encadrement distinctes pour leur fille, avec des consignes plus strictes relatives aux horaires de sortie ou au fait d’être escortées. Cela fait écho à une perception, assez largement inconsciente, d’un espace public où la norme dominante est l’hétérosexualité et où les filles vont être exposées à un ensemble de sollicitations ou d’expériences auxquelles les garçons ne seront que très exceptionnellement exposés. Pour les parents, il s’agit de préparer leurs filles à prendre leur place dans cet univers urbain sexué. (...)