Depuis plusieurs semaines, les autorités polonaises communiquent abondement sur les tentatives de passages à la frontière biélorusse, en augmentation. Une réalité savamment utilisée pour servir une politique gouvernementale ouvertement anti-migrants.
Le 13 août, 159 personnes du Népal, d’Éthiopie et d’Inde ont tenté d’entrer en Pologne depuis la frontière terrestre avec la Biélorussie. Quatre Camerounais et un Congolais, en traversant le fleuve Wołkuszanka. Le 12 août, ils étaient 160, d’origine égyptienne, somalienne, éthiopienne et sri lankaise. La veille encore, 106 migrants du Congo, d’Érythrée, d’Irak et du Pakistan ont pénétré en territoire polonais. Chaque jour ou presque depuis quelques semaines, le compte X (ex-Twitter) des garde-frontières polonais égraine les tentatives de passages à la frontière biélorusse, photos ou vidéos tournées en caméra nocturne à l’appui.
Cette route migratoire, que les exilés d’Afghanistan et du Moyen-Orient ont commencé à emprunter en août 2021, connaît depuis le début de l’été un regain d’intérêt. Selon les gardes-frontières polonais, 19 000 migrants ont tenté d’entrer en Pologne depuis le début de l’année, contre 16 000 pendant toute l’année 2022. Et rien que le mois dernier, plus de 4 000 exilés ont tenté de franchir la frontière polonaise.
À la manœuvre, derrière cet afflux : "les services spéciaux russes et biélorusses", "un groupe criminel ordinaire qui organise la migration illégale", a décrit le commandant en chef des garde-frontières polonais, Tomasz Praga. Des accusations similaires à celles lancées il y a deux ans. À l’époque déjà, Bruxelles et Varsovie avaient accusé le régime de Minsk d’orchestrer cet afflux avec son allié russe dans le cadre d’une attaque "hybride", ce que Minsk a toujours démenti. Cette fois, cette "opération de déstabilisation de la frontière polonaise, contrôlée par les services biélorusses et russes", dixit le Secrétaire d’État à la Chancellerie du Premier ministre, est aussi appuyée par l’arrivée de milliers de mercenaires du groupe russe Wagner sur le sol biélorusse.
Pour protéger la frontière et empêcher les passages, le ministre polonais de la Défense a annoncé jeudi 9 août l’envoi de 10 000 soldats dans la zone, dont 4 000 en appui direct à la police aux frontières.
Une panique "absurde"
Ce récit officiel d’une menace à la frontière est déployé avec vigueur à tout juste deux mois des élections législatives en Pologne, fixées au 15 octobre prochain. Certaines voix s’étonnent de cette temporalité qui tombe à pic pour le Premier ministre Mateusz Morawiecki, en pleine campagne pour le parti ultraconservateur Droit et Justice (Pis). Pour Andrzej Kruczyński, expert polonais en sécurité, la panique autour de Wagner est "absurde", a-t-il déclaré à la radio publique lituanienne LRT. Ce colonel à la retraite affirme que le parti au pouvoir utilise le sentiment d’insécurité "à son avantage" en amont des élections parlementaires. (...)
Des publications dans la droite ligne de la stratégie gouvernementale adoptée à chaque regain de passages à la frontière : celle d’une "instrumentalisation des migrants, qui en deux ans n’a jamais cessé", souffle à InfoMigrants Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix. "La Pologne avait pourtant un peu redoré son blason avec l’accueil de plus d’un million d’Ukrainiens."
D’après l’opposition polonaise, cette campagne de communication anti-migrants est en fait "une manière d’occulter certaines faiblesses du gouvernement", rapporte la chercheuse. (...)