
Dans le centre de la Bretagne, l’entreprise chinoise Synutra bâtit une usine de lait en poudre. Emplois, débouchés pour les producteurs locaux, le projet se veut le symbole du renouveau d’une région sinistrée. Pourtant, le gigantisme industriel qu’il met en oeuvre pourrait sonner le glas des petites fermes.
Carhaix, ville à la campagne, a toujours tenté de rendre son territoire aussi attractif que la côte. Le kreiz Breizh (« centre de la Bretagne », en breton) marqué par les fermetures d’usines agroalimentaires : Marine Harvest, la base Intermarché, Tilly Sabco, Gad, Doux, Entremont et d’autres. Avec un taux de pauvreté de 17 % en 2012 pour la communauté de communes du kreiz Breizh, selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), le centre Bretagne est le parent pauvre d’une région touristique économiquement puissante. Les champs de plus en plus grands, parfois jaunis par les pesticides, alternent avec les grandes usines en tôle.
Au bord de la rocade de Carhaix, une nouvelle usine est apparue. L’entreprise chinoise Synutra concrétise un projet qui a officiellement débuté en 2012 (...)
Le premier coup de pelle a été donné à 10 h 58 le 10 janvier 2014. « Un grand jour », selon les journaux locaux, avec une cérémonie orchestrée selon les rituels chinois.
Cette usine « monumentale », « titanesque » et « extraordinaire »
L’usine sera presque exclusivement approvisionnée par Sodiaal, première coopérative laitière française et cinquième mondiale, qui a investi 10 millions d’euros dans le projet. Sodiaal s’est imposée dans le territoire breton en rachetant Entremont et la coopérative Unicopa en 2010. Aujourd’hui, elle collecte 800 millions de litres de lait auprès de 1.851 producteurs bretons. (...)
« On va vers des fermes de 200-300 vaches. On voit ça fleurir partout »
« Si Synutra est venu à Carhaix, c’est parce qu’il y a un bassin de production important avec un modèle familial. On est pas dans un modèle industriel à outrance », selon Pascal Prigent. Mais les chiffres pharamineux de l’usine résument une idée assez simple : produire toujours plus pour un marché en pleine croissance. « L’usine va faire baisser les prix. Les éleveurs pourront résister s’ils s’adaptent avec des robots, mais les petites fermes vont fermer. C’est plus rentable et c’est astreignant. L’agriculture bretonne va se transformer. Sinon c’est la désertification » (...)
La filière laitière tombe donc progressivement entre les mains d’entrepreneurs mondiaux. Synutra est une filiale de production chinoise achetée par une holding états-unienne, auparavant domiciliée aux Bahamas sous le nom de Vorsatech Ventures. (...)
« Mais à quelle question veut-on répondre en industrialisant la production alimentaire et en la livrant aux capitaux étrangers ? se demande Jean Cabaret, exploitant depuis 35 ans une ferme de 40 vaches au modèle économique stable. Ce n’est pas une question de besoin alimentaire, ce n’est qu’une question de profit pour ces patrons chinois. » Le lait en poudre n’est que le résultat de l’occidentalisation des Chinois et 50 % des femmes allaitent leurs bébés. Ce produit ne serait donc réservé qu’à la plus riche tranche de population.
Mais Sodiaal a de nouvelles ambitions. La grande coopérative souhaite se lancer dans le lait « bio ». « Si Sodiaal décide de prendre les grandes fermes et de les mettre en bio, il va déstabiliser tout un marché », dit Jean Cabaret. Pour lui, il ne resterait alors plus que les fermes grandissantes ou les toutes petites, capables de transformer leur lait pour le vendre dans les circuits courts.