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Mediapart
Education : Macron continue d’entrenir l’illusion méritocratique
Article mis en ligne le 14 octobre 2020

Le chef de l’État veut renouer avec l’égalité des chances. Dans son discours de Clermont-Ferrand, il a dit vouloir « retrouver la sève du mérite ». Or cette notion a été déconstruite par les chercheurs, qui la jugent peu pertinente et trop individualisante. (...)

Emmanuel Macron connaît ses classiques (de droite). Décidé à démontrer que l’hémisphère gauche de sa politique n’est pas totalement atrophié, le président de la République a exposé le 8 septembre sa vision de l’égalité des chances. Résultat, il a décliné un pot-pourri de toutes les vieilles recettes, à la sauce méritocratique, censées aider les jeunes issus des familles les plus défavorisées à intégrer l’enseignement supérieur. En effet, le chef de l’État entend renforcer des dispositifs comme les cordées de la réussite ou les internats d’excellence avec toujours un unique fil rouge : le mérite. Et ce même si cette notion a largement été déconstruite et que les chercheurs ont démontré à quel point elle reste un mythe. (...)

L’OCDE a pointé dans un rapport en 2018 la France comme un pays dans lequel la mobilité sociale est figée. Les études, comme celles de Pisa (lire ici, là ou encore là) ou du Cnesco (ici ou là), se succèdent elles aussi pour rappeler à quel point les déterminismes sociaux et raciaux pèsent dans la réussite ou l’échec des enfants français.
Le gouvernement ne fait pas montre d’un activisme débordant pour rectifier la situation.
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L’idéologie du mérite, extrêmement ancienne, infuse ici, quand bien même elle n’a aucune valeur et rien d’inédit.
Cette prise de parole présidentielle est digne des grandes heures de la droite au pouvoir. En effet, pour tenter de contrecarrer les déterminismes sociaux, le président a choisi de piocher dans la besace sarkozyste et de renforcer des dispositifs préexistants lancés à l’époque.
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Une logique de sursélection précoce

Emmanuel Macron a aussi confirmé que le nombre d’internats « d’excellence », destinés à aider les jeunes des classes défavorisées ou habitant loin des établissements scolaires, passerait de « un peu moins d’une quarantaine » actuellement à « un par département », soit une centaine d’ici à la rentrée 2022.
Les internats d’excellence, projet emblématique de Sarkozy lancé en 2009 et censé donner une coloration sociale à son action éducative, proposent d’extraire les élèves « méritants » des quartiers populaires pour leur permettre de bénéficier de conditions d’apprentissage optimales. Cette vitrine de la politique sociale n’a cessé d’être mise en avant par la Rue de Grenelle à l’époque. À eux seuls, ils devaient marquer le retour du volontarisme républicain au service de la méritocratie.
Seulement, leur évaluation par l’inspection générale dans un rapport, daté de juin 2011, souligne le coût exorbitant du dispositif, rendu possible par « un portage politique au plus haut niveau de l’État ». Le rapport s’interroge sans détour sur le bien-fondé même du dispositif, dont il décrit les « limites intrinsèques » qui en font « une réponse partielle à un besoin plus global ». Malgré, justement, l’ampleur des moyens mobilisés, un soutien politique du plus haut niveau de l’État, les résultats observés sur le terrain sont plus que décevants.

L’Institut des politiques publiques a voulu aussi évaluer leur efficacité
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La conclusion est la suivante : « Au bout de deux ans, les élèves de Sourdun n’ont pas plus progressé en français que ceux du groupe témoin, alors qu’en mathématiques, ils sont loin devant. » Une efficacité, certes, mais partielle et trop légère au regard de l’investissement. 
Alice Pavie, doctorante en sociologie au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), travaille sur une thèse provisoirement baptisée « Le marché de l’égalité des chances – externalisation et division du travail autour des dispositifs d’ouverture sociale », et confirme que ces dispositifs ne sont pas régulièrement évalués (ici pour les cordées de la réussite) et qu’on sait mal ce qui s’y passe.
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Interrogé par Mediapart sur cette question en 2017, Jean-Michel Blanquer soutenait encore et toujours cette mesure. (...)

Individualiser des parcours n’a jamais produit de bonnes analyses sur le caractère systémique des inégalités dont est percluse l’école française. Les récits d’ascension sociale joyeux ne sauraient faire office de théorie. (...)

Une réinvention de la politique de l’alibi

« Il y a une stigmatisation de la paresse des pauvres qui s’articule avec l’idée de compétition inter-individuelle avec cette idée que les statuts sociaux devraient être indexés au mérite respectif des uns et des autres avec ce flou du mérite : est-il acquis ou hérité ? Car là se trouve la grande ambiguïté de la notion de mérite : il y a un entremêlement entre l’inné et l’acquis. On met au compte de l’effort labeur ou au contraire paresse ce qui est le produit de la transmission intrafamiliale. »
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Pour Jules Naudet, il est impossible de ne pas relever la contradiction fondamentale de ceux qui mettent en avant le mérite. Les classes supérieures vantent le « quand on veut on peut » alors que, dans les faits, elles agissent selon des principes qui sapent l’égalité des chances. (...)

Le sociologue Jules Naudet souligne que tenir un tel discours en période de crise est incohérent. Il explique : « La mobilité sociale est admise par la croissance. On voit que la mobilité sociale existe dans ces moments-là. Les rejetons des classes supérieures ne suffisent pas à remplir les postes prestigieux, alors il faut aller chercher les fils en bas pour compléter. En période de crise, ce phénomène est interrompu. La croissance est le moteur de la mobilité sociale, et la mobilité sociale est le but ultime de l’idée de méritocratie. »
Il est aussi illusoire de croire que le gouvernement va choisir d’investir au sens large dans l’éducation. Pourtant, les recettes qui ont fait leurs preuves sont hélas simples. Pour aider les élèves de milieux défavorisés, il faudrait mieux doter en enseignants titulaires les établissements labellisés éducation prioritaire, réduire le nombre d’élèves par classe et accorder à l’université des moyens. Cela coûterait plus cher que de cibler quelques enfants, indique Annabelle Allouch, mais cette politique bénéficierait à tous, sans cette distinction factice au mérite.