
L’émotion est vive après l’immolation de Mohammad Moradi, à Lyon, qui a expliqué son geste en vidéo. Cet Iranien a dit sacrifier sa vie pour que le monde regarde en face la révolution en Iran. Il n’est pas le premier à faire du suicide un acte politique.
(...) Son nom, son visage, et surtout ses mots, prononcés d’une voix calme sur Instagram : « Quand vous regarderez cette vidéo, je serai mort. » Quelques instants plus tôt, cet Iranien de 38 ans, installé à Lyon depuis trois ans, y expliquait son intention de se donner la mort, à la fois pour dénoncer le régime de Téhéran et soutenir les Iraniennes et Iraniens qui se révoltent depuis plus de trois mois.
« La police attaque des gens très violemment lors des manifestations. Malheureusement, on a perdu beaucoup de filles et de fils très jeunes, des adolescents et même des enfants. On doit faire quelque chose. […] Je décide de me suicider dans le fleuve Rhône. […] Je ne suis pas triste. Je décide de faire ça pour montrer à tout le monde que nous, Iraniens, avons besoin d’aide. » Les pompiers ont repêché son corps sans vie lundi 26 décembre, en fin de journée.
Depuis donc, outre l’onde de choc provoquée en France, l’information a été relayée par le quotidien britannique The Guardian, des médias arabophones, d’autres en farsi. Sur son compte Twitter aux 658 000 abonnés, Masih Alinejad, Iranienne exilée aux États-Unis et opposante farouche au régime des mollahs – qui avait été reçue par Emmanuel Macron en novembre dernier –, a relayé la vidéo, se disant « dévastée ».
La comédienne Golshifteh Farahani a fait de même sur Instagram. Précisant à ses quelque 15 millions de followers que depuis le début des manifestations dans son pays, mi-septembre, 476 personnes ont été tuées par le pouvoir, selon l’ONG Iran Human Rights (basée à Oslo). Et une centaine d’autres risquent la peine capitale pour avoir participé à la révolte. (...)
Si, comme il se doit en pareil cas, une enquête a été ouverte pour déterminer les circonstances exactes de son décès, la déclaration de Mohammad Moradi classe en effet d’ores et déjà son acte au chapitre des suicides éminemment politiques. Ils émaillent l’Histoire. La liste qui suit n’est pas exhaustive.
1963, à Saïgon, Vietnam (...)
Un bonze vietnamien de 66 ans, Thich Quang Duc, s’immole par le feu le 11 juin 1963 à Saïgon. Il proteste contre la politique anti-bouddhiste menée par le président de la République du Vietnam, le catholique Ngô Dinh Diêm. Il veut en alerter le monde et y parvient : la photographie de cet homme, assis en tailleur dans la rue et dévoré par les flammes – prise par le reporter américain Malcolm Browne –, fait le tour du monde, provoquant une émotion considérable. (...)
Mais en dépit de son retentissement, le sacrifice du bonze ne permettra pas d’améliorer sensiblement le sort de ses coreligionnaires. En revanche, quatre mois plus tard, le président Diệm, qui a perdu le soutien des États-Unis, est renversé et assassiné. (...)
1969, à Prague, Tchécoslovaquie (...)
La mort de Jan Palach, symbole de la révolte des Tchécoslovaques contre l’étau soviétique, est depuis longtemps entrée dans les manuels d’histoire. Le jeune homme a 20 ans, il étudie la philosophie. Avec d’autres camarades de son âge, il choisit donc la mort comme geste politique ultime. Et passe à l’acte en s’immolant le 16 janvier 1969 en plein centre de Prague, sur la très fréquentée place Venceslas. Il dénonce la répression qui s’abat sur le pays depuis le mois d’août précédent (...)
Dans la foulée de Jan Palach, d’autres jeunes Tchécoslovaques se suicideront, ou tenteront de le faire. En vain. L’autoritarisme soviétique se poursuivra jusqu’à la perestroïka conduite à Moscou, et la chute du rideau de fer, fin 1989.
2010, à Sidi Bouzid, Tunisie (...)
L’acte désespéré d’un homme ébranlera un pays tout entier et, au-delà, une partie du monde : le 17 décembre 2010, dans la localité de Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, un marchand ambulant de fruits et légumes s’immole devant le siège du gouvernorat. Selon ses proches, Mohamed Bouazizi a été poussé à bout par les autorités qui ne cessent de lui confisquer ses outils de travail et sa marchandise… car il n’a pas les moyens de payer les pots-de-vin qui lui garantiraient la tranquillité. Ses protestations officielles n’y ont rien fait – l’homme aurait même été giflé par une policière. Très vite, son suicide dépassera son cas particulier pour devenir un symbole : la dénonciation de la corruption qui gangrène l’administration et le pouvoir tunisiens, aux dépens de la majorité de la population condamnée à la pauvreté. Le président Ben Ali aura beau tenter de calmer les esprits en recevant sa famille, la révolte gagnera Tunis. Moins d’un mois après l’immolation du vendeur ambulant, Ben Ali quitte le pays. Et cette révolution du Jasmin en annoncera d’autres, celles dites des Printemps arabes. (...)
Huit ans plus tard, l’Histoire pourtant se répète : un Tunisien s’immole à nouveau par le feu – Abderrazak Zorgui, journaliste d’une trentaine d’années. Il dénonce la précarité persistante dans le pays, et les promesses politiques non suivies d’effets.