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Centre national de coopération au développement,
Droits des femmes : quel bilan tirer de la conférence de l’ONU ?
Coupole des ONG et associations belges francophones et germanophones engagées dans la solidarité internationale, le Centre national de coopération au développement, CNCD-11.11.11, est un acteur de premier plan en Belgique en matière de solidarité internationale.
Article mis en ligne le 11 avril 2019

Le plus grand rassemblement annuel de l’ONU sur les droits des femmes s’est clôturé sur des avancées et ce, en dépit d’un climat politique toujours plus polarisé. En particulier, de nouvelles recommandations internationales pour les droits humains des femmes au niveau des systèmes de protection sociale, d’accès aux services publics et des infrastructures durables ont été approuvées. On vous explique.

Chaque année, les deux semaines de forum pour l’égalité entre hommes et femmes nous tendent un miroir sur le monde. Cette édition a clairement reflété les attaques diffuses contre les droits humains des femmes et les principes de la diplomatie multilatérale. Mais face à d’intenses pressions conservatrices, la majorité des délégations présentes à la 63e Commission de la condition de la femme a ardemment défendu les droits fondamentaux des femmes. Les conclusions de ces deux semaines de débats animés, connues sous le nom de conclusions concertées, adoptées par les États Membres, proposent des mesures concrètes pour renforcer la voix, l’action et le leadership des femmes et des filles en tant que bénéficiaires et utilisatrices des systèmes de protection sociale, des services publics et des infrastructures durables.

Garder le cap malgré les tentatives d’intimidation

L’accès universel à une pension de vieillesse, à des services de soins de santé de qualité et à des transports publics sûrs et abordables permet d’améliorer la sécurité et l’indépendance du revenu des femmes ; détermine si une petite entrepreneuse pourra mettre ses produits sur le marché à temps et à quel prix ; ou si une adolescente pourra aller en toute sécurité à son école et avoir accès à des toilettes, notamment pour garantir son hygiène menstruelle. Cela peut déterminer si les filles vont à l’école, à quels marchés une agricultrice peut avoir accès et combien de temps il lui reste dans une journée pour poursuivre un autre travail rémunéré ou des loisirs.

A l’issue de la conférence, les Etats réaffirment que l’accès des femmes et des filles aux systèmes de protection sociale, aux services publics et aux infrastructures durables est essentiel pour atteindre les objectifs de développement durable. Au-delà, ils s’engagent à prévenir toute discrimination et à créer des « règles du jeu équitables » pour les femmes et les filles.

La facilitatrice kenyane des négociations, Mme Koki Muli Grignon, a fait l’objet d’une odieuse campagne de cyber-harcèlement de la part de mouvements conservateurs particulièrement opposés à toute avancée en matière de droits sexuels et reproductifs. Cependant, les résultats obtenus montrent que, lorsque les mouvements féministes s’unissent, tant au sein des institutions qu’à l’extérieur, les progrès sont imparables. A cet égard, il faut souligner l’important engagement de la Belgique au sein de la délégation de l’Union Européenne pour engranger des résultats et éviter tout recul des droits des femmes.
La consécration de l’accès universel à la protection sociale

Pour la première fois dans l’enceinte de la commission pour le droit des femmes, les gouvernements reconnaissent le droit à la sécurité sociale, y compris l’accès universel à la protection sociale, et que l’accès des femmes à la protection sociale est souvent limité parce que conditionné à un emploi formel. Ils appellent à veiller à ce que les niveaux de protection précédemment atteints ne soient pas inversés. Ils invitent à s’appuyer sur les engagements multilatéraux en faveur de l’égalité des genres, notamment la convention relative aux droits des personnes handicapées et la recommandation 202 (2012) de l’OIT sur le socle de protection sociale.

Les conclusions concertées recommandent par ailleurs de reconnaître, réduire et redistribuer les soins non rémunérés et le travail domestique en assurant l’accès à la protection sociale pour les soignants non rémunérés de tout âge, y compris la couverture des soins de santé et des pensions. Elles appellent à augmenter les investissements dans des services de soins publics de qualité, abordables et sensibles au genre.

L’accord négocié à l’ONU reconnaît que les coupes budgétaires et les mesures d’austérité compromettent l’accès des femmes à la protection sociale, aux services publics et aux infrastructures durables, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. Il établit aussi le lien entre la protection sociale sensible au genre et la prévention de la violence sexiste. Les gouvernements se sont également engagés pour le travail décent des nombreuses actives dans les services publics.
Mettre le genre au centre des infrastructures durables. (...)

A l’occasion de cette Commission sur la condition de la femme, les Etats ont particulièrement mis l’accent sur les spécificités liées au genre en matière d’infrastructures durables. Il s’agit d’un changement fondamental dans la façon d’appréhender comment les vies des femmes et des filles sont liées aux infrastructures. Le texte adopté souligne l’importance de mettre en place des mécanismes institutionnels afin de réaliser des études d’impact intégrées basées sur le genre dans les projets d’infrastructure et leur planification.

Les conclusions concertées incluent les femmes et les filles en tant qu’utilisatrices, productrices et leaders dans le secteur à toutes les échelles, depuis les systèmes énergétiques communautaires et les installations d’eau et d’assainissement jusqu’aux grands projets d’infrastructure. Les gouvernements se sont en outre engagés à améliorer l’infrastructure des soins de santé et ont reconnu son rôle dans la lutte contre la mortalité maternelle.

Les infrastructures durables sont intrinsèquement liées aux dimensions de services publics et de protection sociale . (...)

En ce qui concerne les espaces publics, le manque d’infrastructures et d’environnements sûrs peut exacerber les sentiments d’insécurité et les violences à l’égard des femmes et des filles, en particulier en milieu urbain, et davantage encore dans les bidonvilles. Ces risques augmentent lorsqu’ils sont croisés avec d’autres facteurs. Jusqu’à 90 % des lesbiennes ont été victimes de violence dans les lieux publics. Les filles et les femmes qui travaillent comme vendeuses de rue sont victimes d’un niveau élevé de harcèlement sexuel. Par ailleurs, l’absence d’un aménagement du territoire qui intègre la dimension du genre de manière transversale et spécifique peut avoir un impact négatif sur la mobilité des femmes, par exemple en raison d’un manque d’investissements dans les routes rurales qu’elles sont plus nombreuses à emprunter, et ce avec des particularités dans leurs modes de transport.

Le secteur de l’énergie est pour sa part un secteur traditionnellement dominé par les hommes, et les projets d’infrastructure liés à ce secteur ont souvent ignoré les besoins spécifiques des femmes. (...)

En matière de santé et de droits sexuels et reproductifs, l’organisation mondiale de la santé estime que 214 millions de femmes dans les pays en développement n’utilisent aucune méthode de contraception malgré leur souhait d’éviter ou espacer les grossesses. Des études ont montré que les normes sociales liées au genre et un pouvoir inégal de décision entravent l’accès des femmes et des filles aux services généraux de santé, et en particulier aux services de santé sexuelle et reproductive, ce qui les empêche de réaliser leurs droits sexuels et reproductifs . Les obstacles juridiques et institutionnels peuvent également dissuader les femmes et les filles de se faire soigner, comme le fait de devoir présenter une preuve du consentement parental ou conjugal pour recevoir des soins de santé sexuelle et reproductive.
Le maintien des engagements précédents et les avancées nouvellement acquises sont d’autant plus importantes que des Etats membres de la Commission comme les États-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et Bahreïn, avec l’appui du Saint-Siège, observateur permanent auprès de l’ONU, ont mené des attaques sans précédent contre les droits fondamentaux des femmes et leur autonomie. L’Arabie Saoudite et le Royaume de Bahrein ont pris position pour se retirer de l’adoption de l’accord par consensus en fin de session. Ils n’ont cependant pas empêché le texte d’être formellement adopté.

Solidarité des mouvements féministes avec le mouvement climatique (...)

Pour sa 63e session, la Commission de la condition de la femme a enregistré une participation record : plus de 5 000 personnes enregistrées comme représentantes d’organisations de la société civile du monde entier, près de 2 000 déléguées des États Membres et 86 ministres ont fait le déplacement. (...)

Les conclusions concertées mettent en avant les conséquences des changements climatiques sur les infrastructures durables, la protection sociale et les services publics. Elles reconnaissent l’importance pour les femmes et les filles de solutions climatiques adaptées au contexte local, qui relient la science, les politiques et la pratique. Cependant, les conclusions offrent peu de solutions et ne reflètent pas l’urgence d’une transition juste de nos sociétés.
D’importants défis restent à relever

Malgré certains progrès, il reste des défis à relever pour réaliser pleinement les droits fondamentaux de toutes les femmes. Ainsi, la section du texte relative aux services destinés aux survivantes des violences a été supprimée. Il s’agit d’une source de préoccupation majeure au vu du contexte récent de prise de conscience croissante de la prévalence et des conséquences de la violence basée sur le genre. Les violences à l’égard des femmes et des filles restent d’actualité dans tous les pays et toutes les sociétés, dans les sphères privées et publiques, dans des espaces physiques aussi bien qu’en ligne. (...)

Par ailleurs, les Etats ont échoué à intégrer l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre dans la conception des systèmes de protection sociale, des services publics et des infrastructures. L’offensive des Etats-Unis sur l’utilisation du mot « genre » à travers le texte est particulièrement inquiétante pour l’avenir. Les conclusions concertées ont également démontré la réticence des gouvernements à tenir le secteur privé responsable en matière de respect des droits humains des femmes.

Les gouvernements réaffirment que les droits humains des femmes sont universels, indivisibles et interdépendants, mais ils restent trop nombreux à vouloir choisir quels droits et les droits de qui. Compte tenu de l’omniprésence du conservatisme lors de cette commission, les féministes devront continuer à faire pression pour le respect des droits de toutes les femmes, et de toute personne quel que soit son genre, partout dans le monde.

C’est d’autant plus important à l’approche du 25e anniversaire (l’année prochaine) de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin - la conférence historique qui a déclaré que les droits des femmes sont des droits humains - du 75e anniversaire des Nations Unies et du 20e anniversaire de la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité. Ces forums offrent aux mouvements féministes l’occasion de continuer à jouer un rôle de premier plan dans les processus d’examen nationaux et régionaux de la mise en œuvre de ces engagements, et d’ainsi éclairer le chemin qu’il reste à parcourir pour l’égalité et les droits des femmes.