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Devenir paysan pour être libre
8 juin 2016 / Gaspard D’Allens (Reporterre)
Article mis en ligne le 26 février 2020
dernière modification le 25 février 2020

Ils et elles étaient employé, fonctionnaire, ouvrier ou commercial. Ils et elles ont fait le choix de devenir paysans et paysannes, recourant à la terre pour se réapproprier leur vie et renouer avec l’autonomie. (...)

« Et vous allez vivre tous ensemble ? » demande, interloqué, un voisin paysan à la retraite, aux six jeunes qui lui font face. « Oui, oui, on dormira dans le même lit ! » répond la bande avec le sourire. À la ferme de la Gravelle, dans l’estuaire de la Gironde, il y a comme un petit air de révolution. Dominique et Régine ont décidé de céder leur ferme à une joyeuse troupe. Aucun n’est issu du milieu agricole mais tous y voient leur avenir.

Avant de devenir maraîchers, Julien étudiait la philosophie politique à la Sorbonne et sa femme, Mélanie, travaillait dans un centre social. Damien et Fanny, eux, désormais, pétrissent le pain. Ils sont paysans boulangers. Une activité à mille lieux de leur ancienne vie. Lui bossait dans un bureau d’étude, elle était bijoutière. Un autre couple habite sur place. Camille, pianiste, et Adrien, ancien acheteur industriel pour le secteur automobile. Il s’occupe à présent d’une centaine de moutons qui paissent dans l’herbe grasse des prés salés. (...)

« Aujourd’hui, les enfants d’agriculteurs ne sont plus assez nombreux pour reprendre l’exploitation de leur parents. D’ailleurs, ils n’en n’ont pas forcément envie », reconnaît un vieil agriculteur du coin, pour l’instant sans repreneur. En France, dans dix ans, la moitié des agriculteurs partira à la retraite. La moyenne d’âge des exploitants agricoles atteint 52 ans. La relève est indispensable si l’on veut pérenniser le secteur. Et ne pas l’abandonner aux fermes usines ou aux firmes agroalimentaires, qui créent une agriculture sans agriculteur.

Comme la bande de la Gravelle, de plus en plus d’hommes et de femmes se reconvertissent dans la paysannerie avec fougue et passion. Alors que rien ne les y prédestinait. (...)

Ces reconversions n’ont rien d’anecdotique. Selon Raymond Vial, membre de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture : « 40% des installations au niveau national se font hors du cadre familial en 2015. » Dans certaines formations agricoles, ceux qui ne sont pas du sérail sont devenus majoritaires. En Lorraine, au Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) de Courcelles Chaussy, « la plupart des candidats viennent de la ville. Ils ont connu le maraîchage grâce aux Amap. Puis, ils ont décidé de franchir le cap. Devenir producteurs après avoir été consommateurs », explique un responsable pédagogique.

Un autre modèle se dessine, en dehors du productivisme. (...)

La majorité des nouveaux venus pratiquent l’agriculture biologique. « Depuis quelques années, parmi nos derniers adhérents, 80% ne sont pas fils ou fille d’agriculteurs », constate une administratrice de la Fnab, la Fédération nationale d’agriculture biologique.
Le geste paysan contient une puissance subversive

Cette nouvelle vague diffère du retour à la terre des années 1970. Moins visible, plus enracinée. « C’est une révolution silencieuse, analyse Sylvain Pechoux, coauteur du livre Devenir paysan. Le mouvement reste discret, à l’image des motivations de ces nouveaux agriculteurs : plus personnelles et intimes que celles de leurs aînés néo-ruraux. » Leurs installations s’inscrivent dans la durée — 9 « hors cadre familial » sur 10 sont toujours agriculteurs après 10 ans d’activité — quand les expériences soixante-huitardes ont souvent été éphémères.

Aujourd’hui, le geste paysan contient une puissance subversive. Il permet de renouer avec l’autonomie. À une époque où la dépossession n’a jamais été aussi violente. (...)

Le chemin que tracent ces néo-paysans et paysannes s’apparente plus à un aller à la terre qu’à un retour à la terre. Car le lien a été coupé depuis plusieurs générations déjà. Les savoir-faire oubliés, enterrés sous des années à côtoyer le béton. Même à la campagne, le machinisme agricole a parfois détruit les connaissances ancestrales. Il va falloir tout réapprendre. À la force du poignet. (...)

Faut-il pour autant perdre espoir ? Différents collectifs émergent pour aider les néo-paysans. Terre de liens achète des terres, les Amap développent des circuits courts, les Espaces test agricoles proposent aux candidats de s’essayer au métier et les Adear (Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural) accompagnent les porteurs de projet sans prôner les dimensionnements économiques imposés par la chambre d’agriculture. Sur nos territoires, ces associations se fédèrent pour proposer un autre horizon que celui de l’agriculture industrielle. (...)