
En Argentine et en Uruguay, des juments sont engrossées, martyrisées et avortées afin de leur prélever une hormone utilisée notamment en France. « Libération » révèle en exclusivité une enquête menée par des ONG
Des « fermes à sang ». L’expression, glaçante, résume bien le sort sinistre réservé aux animaux exploités dans des hangars plantés dans la pampa. C’est en enquêtant sur le commerce de viande de cheval que deux associations de défense animale, l’une suisse, TSB (1), l’autre allemande, AWF (2), ont découvert puis approché cinq de ces « fermes » situées en Argentine et en Uruguay. Leur business ? Prélever du sang sur des juments enceintes. Durant leur gestation, entre le 40e et le 120e jour environ, les juments produisent une hormone spécifique qui intéresse beaucoup l’industrie pharmaceutique ; une hormone largement utilisée dans les élevages car elle permet de programmer les naissances.
De ces longs mois d’investigation, entre mars 2015 et avril 2017, TSB et AWF ont rapporté des vidéos, des photos, des témoignages. On découvre des troupeaux livrés à eux-mêmes, dans des pâtures rases. De nombreuses juments maigres, malades ou blessées. Certaines souffrent de plaies ouvertes et infectées, d’autres de fractures. Au sol, des squelettes, des cadavres. Mais le pire est à venir : TSB et AWF assurent que durant plus de deux mois, à raison d’une à deux fois par semaine, ces juments se voient prélever jusqu’à dix litres de sang (soit l’équivalent de deux litres pour un homme de 80 kilos). (...)
Les images rapportées par les associations montrent des animaux apeurés, maltraités, conduits de force dans les box de contention où une canule sera insérée dans leur veine jugulaire. Lorsque la précieuse hormone n’est plus secrétée par le placenta, autrement dit lorsque leur sang n’est plus intéressant, ces juments seraient, toujours selon les informations collectées par ces ONG par le biais d’entretiens avec d’anciens employés de ces fermes, avortées manuellement, à trois mois et demi de grossesse, sans anesthésie : une main enfoncée dans leur vagin perce le sac contenant le liquide amniotique. La femelle perd alors son poulain, considéré comme un simple coproduit. Puis elle sera à nouveau engrossée. Les juments pourraient ainsi être « pleines » plusieurs fois par an, alors que leur gestation normale dure environ onze mois. (...)
« Au bout de trois à quatre ans, les juments qui ont survécu à ces années de maltraitance, épuisées et stériles partent à l’abattoir pour alimenter le commerce de la viande chevaline, exportée notamment vers la France », dénonce Adeline Colonat, chargée de communication éditoriale à Welfarm, l’association dédiée à la protection des animaux de ferme qui relaye l’enquête en France. (...)