
Dans la commune de Querrien, dans le sud du Finistère, un collectif s’est constitué pour cultiver et pâturer 53 hectares mis à la vente. La Safer, qui régule l’attribution des terres agricoles, a préféré l’agrandissement d’une exploitation. À rebours des objectifs fixés par la Région.
C’est une histoire emblématique de ce qui se joue dans le silence des campagnes agricoles. Un dossier révélateur des contradictions des pouvoirs politiques, entre un affichage favorable à l’installation de jeunes et à une agriculture de transition, et la réalité de la cession du foncier aux grandes exploitations déjà en place.
À Querrien, dans le sud du Finistère, un collectif de production bio constitué d’une éleveuse et d’un maraîcher à la recherche de leur première installation, et d’un éleveur déjà en place, s’est porté candidat l’an dernier au rachat de 53 hectares de terres agricoles. Le site, la ferme de Nargoat, était en friche depuis 2019 : il permettait aisément une conversion en agriculture biologique et avait été préempté puis mis en vente par la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, organisme privé qui régule la vente des terrains agricoles pour le compte de l’État).
Après sept mois de procédures, le collectif a fini par jeter l’éponge : les terres ont été attribuées en mars dernier au fils d’un exploitant agricole voisin, un conventionnel possédant déjà 149 hectares. (...)
« La décision de la Safer et le fait qu’elle n’ait jamais fourni d’éléments de justification tout au long de la procédure ne nous a pas réellement permis de défendre notre projet, dit aujourd’hui le candidat de 32 ans. C’est éprouvant de se confronter à un tel refus et de n’avoir aucune explication. »
Une déconfiture d’autant plus grande que le projet intitulé « Les Communs de Nargoat » cochait pour lui « énormément de cases ». « Il s’agissait de remettre de la polyculture-élevage sur une ferme dont près de la moitié de la surface est classée Natura 2000. Et c’est rare de trouver un collectif professionnel dès le début de son projet d’installation, c’est pourquoi c’était enthousiasmant. »
Aux côtés d’Alexandre, une jeune femme avait monté un projet de vente directe à partir d’un élevage de poules pondeuses et de brebis. (...)
Épargne citoyenne
Le troisième membre du collectif – depuis en retrait - était un éleveur voisin de vaches de race locale. Un jeune homme modestement installé qui, en rejoignant Nargoat, s’engageait à passer sur un modèle d’agriculture biologique.
Le collectif était porté par une SCI locale basée à Lorient, « Courte Échelle », dont l’objectif est d’acheter des terres pour y installer des personnes qui, de plus en plus souvent, ne sont pas issues du milieu agricole et ne peuvent acquérir du foncier en raison des prix astronomiques. En lien avec la foncière nationale Terre de liens, qui lance des souscriptions lorsqu’il y a des fermes à racheter, Courte Échelle a de cette façon réussi à lancer deux fermes collectives dans le Morbihan, dans les communes de Ploemeur et Lanester. À Nargoat, elle souhaitait également mettre en place une ferme pédagogique. (...)
« Favoriser le bio n’est qu’un élément de départage entre deux projets similaires, répond Hervé Le Saint. Or, là, il y en avait un qui ne remplissait pas tous les critères. » Et le projet qui lui faisait face ne se résume pas à un agrandissement, ajoute l’élu agriculteur qui est également le trésorier de la FDSEA Finistère, l’antenne locale de la FNSEA (Fédération nationale des exploitants agricoles) - le syndicat qui domine dans toutes les instances agricoles décisionnaires. « L’acquisition de Nargoat permet au jeune agriculteur d’avoir un logement, d’avoir des bâtiments agricoles déjà construits, et de regrouper les parcelles de pâturage pour les vaches. Il y aura moins de transport d’animaux. » (...)
Une chose est sûre, sans un encadrement plus cohérent avec les affichages politiques actuels, la Safer pourra continuer d’arbitrer à sa guise, via un comité technique où les proches du modèle agricole dominant peuvent s’appuyer sur une forte majorité, du fait de la répartition des postes et des cumuls de mandats qui s’ajoutent au résultat des élections syndicales. Celui de la Safer Finistère compte quasiment exclusivement des hommes. On y trouve un élu de la Confédération paysanne, un élu de la FNSEA, un élu des Jeunes Agriculteurs - le syndicat frère de la FNSEA –, un élu de la Coordination rurale (autre syndicat classé à droite), mais aussi des représentants de la chambre d’agriculture du Finistère présidée par la FNSEA, du Crédit agricole, de Groupama, de la Fédération des chasseurs… (...)
À l’heure où nous bouclons ces lignes, le climat est extrêmement tendu entre les parties qui se sont opposées dans cette histoire. La Safer n’a pas encore envoyé la notification de la vente. Le jeune agriculteur, lui, est bien installé sur les terres de Nargoat.