Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Covid : pour des traitements accessibles à tous, casser les monopoles, socialiser la production
Article mis en ligne le 15 mai 2020
dernière modification le 14 mai 2020

Les futurs traitements et vaccins contre le coronavirus seront-ils accessibles à tous, dans tous les pays ? Les entreprises pharmaceutiques qui les produiront, avec l’aide financière des pouvoirs publics, seront-elles prêtes à renoncer à leurs profits ? Des solutions existent pour mutualiser ces médicaments, pour le bien de toutes et tous.

Sanofi, Novartis, Bayer… Ces multinationales pharmaceutiques promettent d’offrir des millions de doses de chloroquine, l’un des traitements à l’étude contre le Covid-19. « Big Pharma » serait-elle en train de remiser au placard sa soif de profits, pour lutter solidairement contre le coronavirus ? « Il faut vraiment observer le geste soi-disant philanthropique de Sanofi avec méfiance. Pour Sanofi, 300 000 boîtes de chloroquine, ce n’est rien en termes financiers », tempère Jérôme Martin, ancien président d’Act Up-Paris et cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

Fin mars, la firme californienne Gilead a tenté d’obtenir, pour l’un de ses anti-viraux recyclés contre le Covid, le statut de « traitement contre une maladie rare », statut qui ouvre droit à des crédits d’impôts et des avantages commerciaux (lire notre enquête). Cette tentative, contrée par la société civile, fait redouter le pire en matière de pratiques sans scrupules de la part des labos pharmaceutiques. Elle a ravivé les craintes chez ceux qui se battent pour un accès de tous, et dans le monde entier, aux médicaments. (...)

Poser des conditions pour les recherches financées par l’argent public

Comment obliger l’industrie pharmaceutique à « lâcher du lest » sur ses intérêts financiers ? Tout d’abord en posant des conditions aux programmes de recherche financés par l’argent public. « La Commission européenne et les États investissent depuis janvier de grosses sommes pour les recherches sur le Covid », souligne Viviana Galli, qui suit le dossier à l’Alliance européenne pour des médicaments accessibles (...)

L’Europe a aussi investi 45 millions d’euros via un partenariat public-privé, « Innovative Medicines Initiative ». 45 autres millions doivent être abondés par les entreprises. Le programme est cogéré par la Commission européenne et le groupement européen de l’industrie pharmaceutique [2]. Les autorités européennes ont aussi prêté 80 millions aux entreprises qui travaillent sur un vaccin, via la Banque européenne d’investissement.

Est-il possible d’intégrer à ces financements des obligations, par exemple un plafonnement du prix de vente ? « Légalement, tout est possible, cela dépend de la volonté politique, répond Viviana Galli. (...)

Pour l’instant, aucun des programmes lancés par l’Union européenne ne fait clairement mention de ces garanties. (...)

Un autre outil pour peser sur les prix serait une obligation de transparence sur les fonds publics qui ont contribué à développer un traitement. (...)

Ouvrir les licences pour fabriquer des médicaments génériques (...)

Des licences exclusives assurent à une entreprise un monopole sur un traitement. Dans une situation de pandémie, alors que tous les pays auront besoin en même temps des mêmes traitements et vaccins, il semble évident qu’une seule entreprise ne pourra pas produire assez pour tout le monde.

Les entreprises qui détiennent des droits exclusifs peuvent certes distribuer des licences « volontaires » à d’autres producteurs de leur choix. Mais cela ne sera pas suffisant (...)

C’est tout l’enjeu d’une initiative lancée par des ONG et des pays, dont le Costa Rica, qui demandent à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’œuvrer « pour mettre en commun les droits sur les technologies utiles pour la détection, la prévention, le contrôle et le traitement de la pandémie de Covid-19 » [3] En clair, le petit État d’Amérique centrale demande à ce que les traitements potentiels contre le Covid, les produits nécessaires aux tests de dépistage, et le futur vaccin éventuel, soient mis en commun à toutes les nations, et non détenus au profit exclusif d’intérêts privés. (...)

La démarche du président du Costa Rica est soutenue par des dizaines d’ONG [4]. Elle s’appuie sur une expérience lancée en 2010, les communautés de brevets – appelées « medecines patent pool ». L’initiative, coordonnée par l’organisation internationale Unitaid, visait à améliorer l’accès aux traitements antirétroviraux, contre le sida, dans les pays à faibles revenus, puis s’est élargie aux traitements contre l’hépatite C et la tuberculose. Dans ce cadre, les entreprises pharmaceutiques détentrices des brevets (en général des multinationales implantées dans les pays riches) donnent leur accord pour que des fabricants de médicaments génériques de pays du Sud puissent produire et distribuer les traitement localement. (...)

Socialiser la production de traitements au niveau mondial (...)

« Quand vous détenez un brevet, vous êtes le seul à pouvoir produire le traitement. Si d’autres le produisent, ils peuvent être saisis devant un tribunal. Mais le détenteur du brevet peut autoriser de lui-même quelqu’un d’autres à produire en son nom le traitement. Si cela se passe comme cela, c’est une licence volontaire. Le mécanisme au niveau de l’OMS serait un mécanisme commun mondial de licences volontaires, et qui inclurait aussi d’autres aspects menant à des monopoles comme les secrets de fabrication. »

Pour mettre en place ce mécanisme, il y aurait autour de la table à la fois l’OMS, les États qui en sont membres, les entreprises pharmaceutiques, et des organisations de la société civile. « Ce projet est une mobilisation ancienne, ajoute Juliana Veras. La crise du Covid met aujourd’hui en lumière que nous en avons vraiment besoin. »
Ultime recours : casser les brevets des entreprises

Une telle mutualisation des droits de production serait, à ce niveau, inédite. Tout comme la crise sanitaire du Covid-19. Sans mise en commun, le risque est grand que l’accès aux médicament dépende des capacités financières des pays, et des malades. Si ce projet échoue, les États pourront aussi opter pour des licences « d’office » ou « obligatoires ». Si un labo refuse de distribuer de son plein gré des licences pour permettre à d’autres producteurs de fournir des traitements génériques, les pays peuvent décider que l’accès à ces médicaments est d’intérêt général. L’État casse alors le brevet, lève le monopole détenu par l’entreprise, et autorise d’autres producteurs à fabriquer le médicament.

Plusieurs pays du Sud ont utilisé cette possibilité depuis le début des années 2000. (...)

Dans les pays du Nord, la procédure de « licences d’office » sert plus d’épouvantail pour faire pression sur les entreprises. Et parfois, ça marche. (...)

En France, cette possibilité a été évoquée en 2014 pour le traitement contre l’hépatite C de l’entreprise Gilead, commercialisé à un prix exorbitant, mais sans suite. « L’État français n’a jamais utilisé de licence d’office », note Juliana Veras. (...)

L’Allemagne et le Canada se préparent à passer outre les brevets

La crise du Covid-19 pourrait en effet changer la donne, une fois que les traitements seront homologués et commercialisés. L’Allemagne a déjà fait modifier sa loi en mars pour permettre au ministre de la Santé de décider de telles licences. Selon Médecins sans frontières, le Canada, l’Équateur et le Chili sont aussi en train de prendre des mesures pour faciliter les licences obligatoires (...)

Ces démarches sont du ressort de chaque pays. Or, pour Juliana Veras, « ce qu’il faudrait surtout éviter, ce sont les initiatives protectionnistes. On le voit avec les masques, si on ne pense pas la coordination et la solidarité en amont, on se retrouve avec des États qui ne cherchent qu’à protéger leur intérêts nationaux. » Sans mécanisme global de solidarité, difficile d’éviter que chaque État ne se réserve des traitements en masse au détriment des autres. Déjà certains pays font des stocks de chloroquine. Ce qui pourrait faire augmenter les prix, même si la molécule n’est pas protégée par un brevet (elle a été créée dans les années 1930). (...)