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Côte d’Ivoire : stratégies des femmes contre la flambée des prix alimentaires
Article mis en ligne le 11 mai 2015

Se souvient-on des « émeutes de la faim » ? Dès octobre 2007, Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, s’indignait : « brûler de la nourriture et la transformer en carburant, c’est un crime contre l’humanité. »

En 2008, le prix des céréales a flambé de 84 % en quatre mois. Si, dans les pays développés, l’alimentation dans un ménage absorbe entre 10 et 20 % des revenus, cela peut monter à 90 % dans les pays pauvres. (...)

Voici donc un article sur les stratégies déployées par les femmes pour lutter contre le coût de la vie en Côte d’Ivoire. Face à un contexte difficile, l’imagination de ces femmes s’avère être la seule solution efficace pour répondre aux besoins des familles et lutter contre la faim (...)

L’imagination féminine contre la faim : les Program
mes d’Ajustement Structurel (PAS)
contre les Stratégies d’Accroissement de la Popote
(SAP)
.

d’Abidjan avec une forte féminisation des emplois i
nformels. Le « miracle » ivoirien se
transforme en « mirage ».
Les choses ne s’arrangent pas, notamment avec l’avè
nement de la crise militaro-politique du
19 septembre 2002. Les indicateurs économiques vire
nt au rouge pour le citoyen lambda en
dépit des frémissements prophétisés dans le prisme
des analyses macro-économiques. Selon le
dernier Document de Stratégie de Réduction de la Pa
uvreté (DSRP), 12, 6% des ménages
ruraux souffrent de l’insécurité alimentaire, soit
1.269.549 personnes concernées avec des cas
de figures de mauvaise et de sous-alimentation (htt
p ://www.ci.undp.org/). Mais, selon le
DSRP
« Malgré ces efforts, la comparaison des besoins al
imentaires journaliers basés sur
une moyenne d’environ 2.250 calories par personnes,
et les schémas de consommation
alimentaire, montre que les besoins minima de 20 à
40% de la population ne sont pas
satisfaits »
. A ce déficit alimentaire, s’agrège une pauvreté g
randissante qui touche
l’ensemble du pays. A Abidjan elle est passée de 14
,9% en 2002 à 21,2% en 2008. Dans les
autres villes, de 31,9% en 2002, elle s’est stabili
sée à 38,08% en 2008. Les femmes sont les
plus pauvres. 20,7% des hommes sont pauvres contre
21,2% chez les femmes dans la
capitale.
L’imagination féminine contre la faim : les Program
mes d’Ajustement Structurel (PAS)
contre les Stratégies d’Accroissement de la Popote
(SAP).
Devant les difficultés qu’elles rencontrent pour ap
provisionner leurs ménages, les femmes
développent toujours des techniques pour donner à m
anger à tout le monde. Dans les années
90, les marmites ont été rationalisées. Les quantit
és de produits alimentaires (riz, bananes,
poissons, etc.) ont subi une baisse sensible. Cette
réduction s’est opérée en dépit de la taille
des ménages. Les conséquences sociales de cette mes
ure (qui perdurent toujours) sont
énormes : fragilisation voire dislocation des liens
dans les familles, rupture du filet de
sécurité, délinquance juvénile, prostitution, gross
esses précoces, alcoolisme et consommation
de stupéfiants chez les enfants, etc.
Mais à leurs corps défendant, les femmes ont renfor
cé la mesure de rationalisation de la
marmite en réduisant le nombre de repas. Certains m
énages « privilégiés » suspendent le petit
déjeuner au menu des adultes pour permettre aux enf
ants de mieux s’alimenter. Pour les plus
vulnérables, les familles s’investissent dans la st
ratégie de la « mort subite » ou « un coup
K.O ». Comme son nom l’indique il s’agit pour les c
oncernés de se contenter d’un seul repas
pour la couverture des besoins alimentaires pour 24
heures. Pour tirer tout le bénéfice de ce repas, le repas est préparé et consommé autour de 1
5 heures, vers 17 heures ou, la nuit, au
diner. Entre temps enfants et adultes végètent dans
la débrouillardise pour « tenir le coup »
avec des « secours ». Ce sont des repas occasionnel
s pris ça et là chez des connaissances
(amis, petits amis, petites amis, camarades de clas
ses, etc.) ou d’autres parents (oncles, tantes,
cousins, etc.) dans la mesure où la faim chasse tou
te la famille loin du domicile.
Devant la flambée des prix, on ne parle plus de pan
ier de la ménagère mais de sachet de la
ménagère. Du reste ce sachet tend à se rompre. Cela
entraîne une modification du régime
alimentaire. Le menu des Ivoiriens a connu l’irrupt
ion de nouveaux produits. En réalité, ce
sont des denrées qui n’étaient pas prisés par la ma
jorité des populations. Leur consommation
déclenchaient les railleries et autres remarques dé
sobligeantes
« au moment où Abidjan était
doux »
. Comme marqueurs sociaux, les aliments remplissent
une fonction de positionnement
socio-économique. Ils distribuent les individus dan
s des catégories sociales.
Ainsi, le discours populaire s’est enrichi de mots
qui traduisent les noms donnés aux produits.
Aussi curieux que cela peut paraître les noms de ce
rtains aliments de base sont associés à des
figures politiques. Le maïs, déjà fortement présent
au Nord est ironiquement appelé
« Bédié »
par les Nordistes en référence à l’accès à la magis
trature suprême par le Président Henri
Konan Bédié. Selon les consommateurs, l’augmentatio
n de la consommation du maïs aurait
coïncidé avec son accession au pouvoir, mais surtou
t, le durcissement de la « conjoncture ».
Entre temps, la sauce faite à base de pâte d’arachi
de prend le nom du parti de l’ancien Premier
Ministre de Félix Houphouët Boigny, Alassane Draman
e Ouattara, pour devenir, la
« sauce
RDR »
. Le maquereau,
« poisson blouson »
enrichi les sauces et autres soupes. Le « riz
Gbagbo », une qualité de riz importé prend le nom d
e l’actuel Président Ivoirien, Koudou
Laurent Gbagbo. Le thon, qui semble ne pas trouvé d
e « partenaires politiques » est célèbre
grâce au
« garba »
, l’
attiéké
(semoule de manioc) accompagné de poisson frit. Co
mmercialisé
dans des garrottes de fortune à des coûts à portée
de toutes les bourses, il se consomme à tout
moment de la journée dans presque toutes les famill
es. La protéine qui a connu le plus grand
succès est sans nul doute, la viande de bœuf, plus
connu sous les noms de
« pieds de bœuf »
(pour désigner les pattes) et le
« kplo »
(la peau de bœuf nettoyée, boucanée et vendue en
petits morceaux de 25 ou 50 F.CFA). Les
« pieds de porc »
(pattes de porcs) se retrouvent
également dans les marmites.
Les « nouveaux » aliments de base se vendent à moin
dre coût dans les marchés des quartiers
populaires. Mais de plus en plus, les femmes de qua
rtiers chics se ruent sur ces marchés pour
faire des provisions hebdomadaires (...)

A côté des marchés l’imagination pousse à la conser
vation et à la duplication des sources de
revenus. De plus en plus on prépare des
« sauces de 2 jours »
ou de
« 3 jours »
pour
économiser l’argent de la popote. La configuration
des ménages à changée. De plus en plus
les femmes s’investissent dans les pratiques de pro
duction. De ce fait, la devanture des
domiciles ou les espaces vacants adjacents ou vacan
ts à quelques encablures de la maison sont
aménagés pour recevoir des petits commerces. Les qu
artiers huppés sont concernés au même
titre que les quartiers populaires. On peut lire à
l’entrée des maisons, sur des pancartes ou
affiches de fortune,
« vente de l’eau glacée »
,
« vente de lait »
, « ici bon yaourt »,
« atelier de
couture »
,
« magasin de prêt-à-porter »
, etc. Ces activités génératrices de revenus sont l
e plus
souvent initiées pour soutenir la mobilisation de r
essources. (...)

L’association des noms des aliments à ceux des lead
ers politiques tient à l’émission de
messages de détresse des femmes et des plus vulnéra
bles vers les décideurs. C’est une
alternative d’échanges, de communication, de résist
ance devant un ordre établi. Devant le
verrouillage des moyens légaux et officiels de comm
unication les femmes ont développés
cette alternative pour forcer l’attention, briser l
e silence, se faire entendre et tendre les mains
vers les sphères de pouvoir. On peut avancer que c’
est une forme de politique par le bas dans
une société hyperpolitisée où les femmes portent se
ules le fardeau de la faim du peuple dans
toutes ses composantes. L’histoire de l’humanité es
t liée à celle de la nourriture. (...)