
Le 1er octobre 2019, le président français, en déplacement à Strasbourg, a appelé les élus de l’Assemblée parlementaire européenne à agir sur la « question migratoire », objet d’un débat en France depuis le 7 octobre. Emmanuel Macron souhaite ainsi lutter contre les « détournements » du droit d’asile, pour selon lui, éviter de faire le jeu des mouvements et régimes autoritaires, plébiscités aujourd’hui. (...)
L’année 2015, a marqué un tournant pour les pays de l’Union européenne qui ont accueilli cette année-là 1,4 million demandeurs d’asile.
Comment, depuis cette date, la crise des réfugiés influence-t-elle la politisation de la population européenne ? (...)
Notre ouvrage The refugee reception crisis in Europe : Polarized opinions and mobilizations, en cours de parution, est issu d’une recherche collective internationale. Il analyse précisément les attitudes, les représentations, les discours et les pratiques de la population six pays européens (Belgique, Allemagne, Suède, Italie, Grèce et Hongrie) envers les réfugiés entre 2015 et 2019. Nous avons ainsi observé simultanément des réactions d’hostilité et des pratiques nouvelles d’hospitalité et de solidarité au sein de la population européenne.
Plus particulièrement, nous avons observé que des actions collectives spontanées initiées par des volontaires non-politisés peuvent aboutir à des actions ayant un impact sur les structures politiques et les opinions publiques. (...)
Si les facteurs individuels constituent une composante de la constitution des opinions positives ou négatives envers les réfugiés et les migrants, les analyses des opinions publiques suggèrent aussi que les discours portés par les partis politiques, notamment ceux d’extrême-droite là où ils existent, contribuent à forger un cadre de pensée alimentant l’hostilité envers les réfugiés et les migrants. (...)
L’hospitalité et la solidarité mobilisent davantage
On note cependant que les mobilisations collectives d’hostilité ont été peu fréquentes en Europe tandis que celles portées par l’hospitalité et la solidarité ont été plus nombreuses.
Dès l’été 2015, de nombreux citoyens ont utilisé leur voiture personnelle pour convoyer des réfugiés de Hongrie en Allemagne, ont conçu des applications pour smartphones donnant les heures de train, identifiant les hôpitaux les plus proches, etc.
Depuis lors, de nombreux actes de solidarité et d’hospitalité s’exercent quotidiennement : collectes de vêtements, distribution de médicaments, distributions de repas, et surtout hébergement de réfugiés chez des particuliers. (...)
L’empathie, au cœur de l’action
La mobilisation d’un nombre considérable de citoyens ordinaires est neuve au regard des actions collectives menées traditionnellement par des activistes appartenant à des associations, des syndicats ou des partis défendant les droits des migrants. (...)
La notion d’hospitalité est au cœur de l’action des acteurs non institués de la société civile. Le terme d’hospitalité s’est d’abord imposé parce les activités auxquelles il fait référence concernent les besoins immédiats des demandeurs d’asile et parce que l’un des ressorts de l’action est l’empathie. (...)
Humanitarisme subversif
Les citoyens ordinaires ne se mobilisent pas au départ pour défendre des revendications politiques d’octroi de droits aux migrants. Toutefois, la rencontre avec les demandeurs d’asile, l’organisation du mouvement et la réaction négative des gouvernements contribuent aussi à la politisation de citoyens investis dans les activités d’hospitalité.
Leurs actions relèvent ainsi d’un humanitarisme subversif en ce qu’il s’oppose à l’inaction organisée des autorités politiques.
La crise de l’accueil de 2015 a conduit à l’émergence de nouvelles organisations de la société civile. (...)
Des pratiques de coopération horizontale
Des pratiques de coopération horizontale entre les organisations préexistantes et celles qui naissent à l’occasion de la crise sont observées dans plusieurs pays. (...)
Des motivations et des mobilisations qui convergent
Les motivations de la mobilisation, soit très politiques, soit très humanitaires, peuvent aussi converger. Si de nombreux bénévoles des nouvelles organisations se mobilisent pour des raisons prioritairement humanitaires (fournir un logement, distribuer de la nourriture, offrir des vêtements, etc.), l’absence de réaction ordonnée et efficace de la part des institutions européennes et des États membres les conduit à une politisation de leur action. (...)
Ces pratiques citoyennes montrent un profond changement et une prise de conscience politique mais celle-ci ne se traduit pas par une modification des politiques d’accueil des différents pays concernés. Et pour cause, les oppositions aux réfugiés et aux migrants se manifestent moins dans l’espace public et collectivement, que dans les sondages d’opinion ou dans l’isoloir lors des élections, dont les résultats peuvent créer une pression plus forte sur les gouvernements.