
Dans Le soin des choses, Politiques de la maintenance, Jérôme Denis et David Pontille déploient une anthropologie de notre relation aux objets.
À partir d’un ensemble d’histoires issues de travaux de recherche et de parutions dans la presse et les médias généralistes, ils rendent compte d’« un art de faire exister et durer les choses » (p. 11). Cet ouvrage fait suite à leurs nombreuses contributions aux Maintenance and repair studies qui ont émergé dans les années 2000. Les deux auteurs partent de la fragilité des objets pour définir la maintenance comme « un ensemble aux frontières foules, fait de tâches, de gestes, de savoir-faire, de théories même, très variés » (p.11), dont la connaissance « nous apprend beaucoup de la trame matérielle du monde et de la richesse des relations qui s’y tissent » (p. 64). Leur réflexion à la fois empirique et théorique soutient une ambition politique : rendre visible un ensemble d’activités négligées et réhabiliter dans le même temps le travail et le statut des mainteneurs et mainteneuses. Ils nous proposent, à rebours d’un capitalisme consumériste, d’entretenir un rapport aux objets permettant aussi de renouveler notre relation au vivant.
Heuristiques de la maintenance (...)
Les modalités de relations aux choses donnent leur titre aux sept chapitres du livre, construits pour pouvoir être lus indépendamment les uns des autres : Maintenir, Fragilités, Attention, Rencontres, Tact, Temps, Conflits.
Les deux auteurs proposent de « penser la maintenance » en situation à partir des activités de celles et ceux qui prennent soin de choses banales – voitures anciennes et actuelles, photocopieurs, signalétique du métro parisien – et plus singulières – vitrine contenant une œuvre d’art, horloge du Panthéon, corps embaumé de Lénine –. Ils rendent ainsi tangibles la richesse et le caractère incertain des pratiques de connaissance et de soin au contact des choses. Dans le même temps, ils se saisissent de la maintenance comme « opérateur de décentrement (ou de recentrement) du regard » (p. 25) pour réinterroger le statut et le parcours des objets, de leur production, à leur disparition en passant par leurs usages, transformations, détournements ou réemplois.
Au fil des sept chapitres, les deux auteurs développent les fondements théoriques du soin des choses en associant philosophie, anthropologie, Science and Technology Studies (STS), sociologie, histoire et archéologie, dans la suite des travaux sur la culture matérielle initiés à la fin des années 1970 et du material turn des sciences sociales. (...)
La force des choses en mouvement
Pour nous intéresser à la maintenance et à l’attention sensible qu’elle implique, Jérôme Denis et David Pontille considèrent l’usure comme condition commune aux objets. Ce processus inéluctable imprime des modifications irréversibles à la surface et à l’intérieur de ces objets, à l’origine des « troubles qui affleurent sans cesse » (p. 49 ) dans nos relations avec eux.
Dans le chapitre 3 en particulier, les deux auteurs décrivent le travail d’attention et de vigilance des mainteneurs et mainteneuses à l’égard de la détérioration des choses. (...)
En insistant sur les modalités multiples d’attention et de relation avec les objets, Jérôme Denis et David Pontille proposent une « éthique pratique du soin des choses ». Les notions de tact, attention, prudence, subtilité, invoquées dans leurs analyses recouvrent en partie l’éthique du Care, développée dans la suite de travaux initiés en philosophie. Mais leur éthique pratique englobe des relations plus ouvertes avec les objets. (...)