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La Rotative
Conseils de prud’hommes : « le plafonnement des indemnités serait complètement scandaleux »
Article mis en ligne le 5 juin 2015

Après avoir supprimé l’élection des conseillers prud’hommes, le gouvernement souhaite désormais plafonner les indemnités que les conseils pourraient attribuer aux salariés licenciés abusivement. Rencontre avec Patrick Marchandin, militant CGT et vice-président du conseil des prud’hommes de Tours.

Le rôle de la juridiction prud’homale, c’est de trancher les litiges qui s’élèvent entre les employeurs et les salariés, à l’occasion de la naissance, de l’exécution, de la conclusion ou de la rupture du contrat de travail. Ça concerne les salariés qui travaillent dans le secteur privé, et les salariés du secteur public employés sous contrats de droit privé (emploi jeunes, contrats d’avenir...). Les apprentis sont également concernés. 90 % des litiges portés devant le conseil des prud’hommes ont trait à la rupture du contrat de travail, et de nombreuses demandes viennent s’y greffer : non-paiement d’heures supplémentaires, harcèlement...

Les conseils de prud’hommes ne sont pas composés de juges professionnels, ce qui est unique en Europe. C’est une instance paritaire, composée à parts égales de conseillers salariés et employeurs. Jusque-là, ces conseillers étaient élus au suffrage universel ; en ce qui concerne les conseillers salariés, c’étaient les salariés et les chômeurs qui étaient appelés à voter, sans condition de nationalité.

Notre mandat, d’une durée initiale de cinq ans, a été prorogé – c’est-à-dire prolongé – deux fois ; ce mandat-là aura donc une durée de neuf ans. Cela s’explique par la suppression de l’élection, que le gouvernement a remplacé par une désignation. Cette désignation se fera sur la base de la représentativité qui découle de la loi de 2008. Pour les employeurs, il va falloir déterminer une manière d’établir la représentativité, car il n’est pas concevable que le mode de désignation des conseillers salariés et employeurs soit différent.

Certes, la participation aux élections prud’homales était en baisse. Mais c’est la seule élection que l’on veut supprimer sous prétexte que la participation est trop faible ! Si on appliquait le même principe à des élections politiques, ça en surprendrait plus d’un. Imaginez qu’on dise qu’un député n’a pas de légitimité parce qu’il est élu par un nombre insuffisant d’électeurs...

L’un des intérêts de l’élection des conseillers prud’hommes, c’était aussi que la campagne électorale permettait de faire la publicité de cette juridiction.

C’est évident, et la suppression de l’élection va encore éloigner les conseillers prud’homaux des salariés. (...)

De manière générale, le ministère de la Justice, dont dépendent les conseils de prud’hommes, est un ministère pauvre ; et parmi les différents tribunaux, les conseils de prud’hommes ne font pas partie des mieux lotis. Ensuite, les situations varient selon les conseils. (...)

Aujourd’hui, il est inacceptable qu’il faille attendre plusieurs années pour qu’un litige soit jugé, mais ce n’est pas de la responsabilité des conseillers prud’hommes, c’est de la responsabilité de l’État. D’ailleurs, l’État est régulièrement condamné par les tribunaux pour ces délais déraisonnables.(...)

L’arbitrage a aussi pour but d’éviter le passage devant le conseil de prud’hommes. Pour justifier le recours à l’arbitrage, on va nous refaire le coup du chantage aux délais. Or, j’estime que tout le monde doit avoir le droit de recourir aux juges prud’homaux.

Sur le plan des principes, je suis attaché à la juridiction paritaire — c’est-à-dire à un conseil composé à parts égales de conseillers salariés et employeurs (...)

Un plafonnement signifierait que le juge ne serait plus maître de l’indemnisation du préjudice. L’idée est déjà en germe dans le projet de loi Macron, qui prévoit l’introduction d’un barème d’indemnités de licenciement aux prud’hommes.

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a déjà introduit un barème d’indemnisation en matière de conciliation. Or, ce barème prévoit des montants très inférieurs à ce qui se pratique devant les conseils.

La question est de savoir si l’application de ces barèmes sera obligatoire. En conciliation, le barème est très peu utilisé. Mais un barème indicatif pourrait déjà influencer les décisions des conseillers, et on peut parier que les indemnités prévues ne seront pas à l’avantage des salariés, notamment ceux qui ont le plus d’ancienneté.(...)

Avec un plafonnement des indemnités, les employeurs pourront apprécier par avance ce que leur coûterait le licenciement abusif d’un salarié. On ne serait plus dans une démarche d’indemnisation du préjudice, mais dans une démarche de gestion des emplois. Cela faciliterait les licenciements, et on retirerait au juge une de ses prérogatives, qui est l’indemnisation complète du préjudice.(...)

Au niveau national, les conseils de prud’hommes traitent environ 200 000 affaires par an. Sur ces 200 000 affaires, moins de la moitié sont jugées. Vu le nombre de salariés qu’il y a en France, le nombre de litiges dont sont saisis les conseils de prud’hommes est très faible. Les salariés ne vont aux prud’hommes que de manière marginale. La majorité des salariés licenciés n’exercent pas de recours. Et quand des salariés consultent des avocats ou des conseillers du salarié, ils n’engagent pas de procédure si on leur annonce que leur affaire ne vaut pas le coût. Les litiges que l’on voit, c’est ceux où les employeurs ont tort ; il n’est donc pas surprenant qu’ils soient très souvent condamnés.(...)

Je suis assez pessimiste sur l’avenir des conseils, au-delà des réformes en cours. Du côté des conseillers salariés, je perçois moins d’engagement militant – car c’est un engagement militant, même si les termes de cet engagement sont particuliers. Et avec la suppression de l’élection, on va encore affaiblir le lien entre les conseillers et leurs organisations syndicales.

Avec la prorogation du mandat en cours, passé de cinq ans à neuf ans, on a assisté à des démissions de conseillers dans des proportions inconnues, et les conseillers sont généralement moins disponibles, moins investis. Auparavant, c’était un mandat qui avait une charge symbolique forte. Aujourd’hui, certains font passer leurs obligations professionnelles en priorité, alors même que leur employeur est tenu de leur accorder le temps nécessaire à l’exercice de leur mandat !