
Cosmopolitisme et démocratie se propose d’examiner les réponses qu’apporte le cosmopolitisme contemporain, dans le contexte de la globalisation, à la crise de la démocratie. Il a le double avantage de la clarté et de la lucidité face aux critiques, dites réalistes, qui lui sont opposées. Il faut dire que les directeurs, tous deux spécialistes reconnus de cette problématique, ont su faire appel à deux contributeurs de premier plan, Etienne Balibar et Jean-Marc Ferry. La réunion de ces talents donne sans doute la meilleure introduction en langue française à un champ d’études qui, depuis les années 1990, est certainement parmi les plus décisifs pour la philosophie politique.
Quelques objections au cosmopolitisme
Le cosmopolitisme, conception de la politique ou de la citoyenneté qui a pour échelle le monde, considéré comme synonyme de l’universel, a fait l’objet d’accusations plus ou moins consistantes. On lui a, notamment, reproché d’être foncièrement anti-démocratique, en raison de la tension entre l’affirmation des droits de l’homme, posés comme axiome du cosmopolitisme, et le principe démocratique reposant sur la souveraineté populaire et sa traduction par le biais des modalités majoritaires et représentative. L’idée sous-jacente est ici que les hommes souhaiteraient naturellement vivre dans des communautés constituées dont l’exemple paradigmatique est la nation démocratique. Cette dernière seule pourrait permettre d’éviter la vacuité à laquelle nos sociétés seraient vouées en s’émancipant, au sein d’entités juridico-politiques supranationales, de la médiation de la nation.
Une autre objection fréquente porte sur l’universalité abstraite et désincarnée qui serait au fondement du cosmopolitisme. C’est ce que dénonce Rousseau (...)
Paix perpétuelle et cosmopolitisme
Dans la période contemporaine, on a fortement mis en cause les guerres menées au nom des droits de l’homme (dans Justice et droit à l’échelle internationale, Stéphane Chauvier parle de « police cosmopolitique »), nonobstant l’objectif de rétablissement d’un ordre pacifique voulu par les organisations internationales. On doit se demander si une guerre menée au nom de l’humanité, autrement dit d’une morale universelle, n’est pas, en ne s’avouant pas comme telle, plus indéfendable encore que toute autre. (...)
Nous sommes bien là au cœur du sujet : est-il envisageable de concilier le principe d’universalité des droits humains, lequel, par définition, s’applique quelle que soit la nationalité des individus, et l’exclusivité des devoirs politiques liant les concitoyens entre eux ? Si l’on voit dans la citoyenneté un principe d’exclusion et, donc, l’acceptation d’une différence de traitement politique, ce principe semble constituer les fondements d’une impossibilité théorique du cosmopolitisme, en même temps qu’il conteste l’idée d’une égalité morale de chaque individu. Ce dilemme est classique en philosophie politique .
Cette apparente aporie n’est surmontable, autrement dit l’égalité morale respectée, qu’à la condition, nécessaire et suffisante, que chaque être humain bénéficie de droits politiques au sein d’une communauté politique. (...)
C’est précisément contre l’arbitraire de la naissance que se sont fondés les progrès de l’égalité politique au sein des nations. Faudrait-il limiter ces progrès aux frontières nationales, lesquelles sont vues par de nombreux auteurs comme un authentique privilège ? La réalité de notre monde profondément inégalitaire suggère qu’il pourrait y avoir « des devoirs politiques de justice qui ne seraient pas limitées aux concitoyens, et donc un partage des institutions créatrices de lois et d’obligations au-delà des frontières nationales. Les devoirs politiques pourraient naître, non pas des institutions nationales, mais de certains faits du monde – par exemple la réalité de l’interaction économique ou géographique entre individus » . Manque-t-on de réalisme en émettant pareille hypothèse ? Ce reproche récurrent paraît négliger le fait que la justice politique intérieure n’est en rien un fait de nature mais résulte au contraire d’un long processus dont le fait sans doute le plus marquant est l’existence d’un Etat-providence. (...)