
Quel que soit le pays où l’alerte a été lancée, le discours des lanceurs d’alerte est identique en termes de représailles. Chacun l’a expérimenté à sa façon : l’avenir s’assombrit, la carrière s’arrête puisque, le plus souvent, le monde du travail tourne le dos à celui qui dit la vérité, la justice prend son temps en faisant traîner les dossiers, les adversaires stigmatisent la personnalité du lanceur d’alerte, le citoyen se retrouve démuni, financièrement étranglé, les familles sont en souffrance à quelques rares exceptions.
On retrouve les mêmes techniques dans les pays qui se disent développés et qui se revendiquent démocraties : tout est fait à la fois pour discréditer le lanceur d’alerte et pour rendre l’alerte la moins visible possible. Cela étant, les temps changent, les mentalités évoluent et ces dernières années, nombreux sont ceux qui ont rejoint les Résistants face à un système qui broie. (...)
Les États-Unis protègent pourtant leurs whistleblowers depuis la guerre de Sécession, une législation importante protège ceux qui défendent l’intérêt général et le bien commun.
Paradoxalement, les affaires médiatisées ces dernières années ont démontré qu’il n’y avait jamais eu autant d’emprisonnements ou d’exils de citoyens – lanceurs d’alerte –américains ou dénonçant un certain nombre de dysfonctionnements du gouvernement américain.
La loi américaine, revue en 2007, permet aux employés de livrer des preuves « de violation de la loi, du règlement ou de la réglementation », « de mauvaise gestion, de grands gaspillages de fonds, un abus d’autorité, ou un danger spécifique pour la santé ou la sécurité publique ». Ces révélations sont autorisées sauf exceptions, elles-mêmes déterminées par la loi. Les cas de l’analyste militaire Chelsea Manning et de l’informaticien Edward Snowden rentrent dans ces exceptions. Il faut mentionner une autre restriction à l’application de cette loi : les employés de la poste américaine (UPS), de la NSA (pour laquelle travaillait Ed Snowden) ou encore du FBI ne peuvent en bénéficier. Effectivement, malgré les lois nombreuses dont s’enorgueillit le pays, nombre de lanceurs d’alerte américains des agences gouvernementales ont été médiatisés à l’international ; leur vie et celles de leurs proches ont basculé. (...)
On peut également imaginer que la justice n’est pas véritablement décisionnaire dans un certain nombre de dossiers compromettant l’État. Rappelons que Chelsea Manning – qui s’appelait alors Bradley Manning - avait été condamné pour trahison en août 2013 au nom de l’Espionage Act pour avoir transmis en 2010 à WikiLeaks des centaines de milliers de documents de l’armée américaine incluant les vidéos d’une « bavure » à Bagdad, "Collateral Murder" étant la plus virale d’entre elle. Il n’est malheureusement pas question de fair trial, de procès équitable, lorsqu’un citoyen américain se trouve dans une telle situation qui l’oppose aux États-Unis d’Amérique.
Edward Snowden est, depuis 2013, l’emblème des lanceurs d’alerte à l’international. Il est exilé en Russie depuis l’été 2013 après avoir révélé les preuves de la surveillance de masse de la NSA américaine à Glenn Greenwald, journaliste au quotidien britannique The Guardian, et à Laura Poitras, réalisatrice de documentaires. Grâce à ses entretiens avec Snowden, Laura Poitras a pu réaliser le documentaire "Citizen 4", qui reçut l’Oscar du meilleur film documentaire en 2014. Les informations livrées par ce lanceur d’alerte hors norme décrivent un système de surveillance mondiale, dont l’ampleur s’est rapidement étendue depuis les attentats du 11 septembre 2001.
A l’étranger, il est incontestable que les noms de Manning et de Snowden sont ceux qui reviennent le plus. Malheureusement, les lanceurs d’alerte américains sont très nombreux et n’ont pas tous connu une couverture médiatique aussi importante, malgré le contenu de leurs révélations et les problématiques qu’ils ont pu rencontrer. (...)
Les femmes américaines ne sont pas en reste, faisant elles-aussi preuve d’un courage exemplaire. Sibel Edmonds est aujourd’hui considérée comme une militante pour avoir fondé la National Security Whistleblowers Coalition. Traductrice au FBI, elle dénonça des actes d’espionnage et de rétention d’informations susceptibles de mettre en danger la sécurité nationale des États-Unis. Après avoir averti sa hiérarchie, elle fut réduite au silence par le FBI et, devant son entêtement, licenciée en mars 2002. La procédure judiciaire fut arrêtée, le procureur général des États-Unis lui ayant opposé le secret d’État. Le Congrès fut même empêché de statuer et de délibérer sur son cas. Elle a obtenu en mars 2006 le prix d’une association d’écrivains aux États-Unis pour sa contribution à la liberté d’expression dont chaque citoyen américain dispose dès sa naissance.
Elle a perdu son emploi après ses révélations et donne régulièrement des conférences où elle explique les méthodes qui sont utilisées pour faire taire les lanceurs d’alerte et milite pour la liberté d’expression et le droit à la vie privée.
Les Américains sont aujourd’hui les lanceurs d’alerte les mieux organisés au monde car non seulement beaucoup d’associations ont été créées mais aussi parce que le Whistleblowing Center qui se trouve à Washington est géré comme une véritable entreprise. Son site Web est très détaillé, il fournit des informations pertinentes sur les droits depuis presque trente années, il a été à l’origine de deux lois très importantes de lutte contre la corruption et pousse à l’amélioration des lois de protection des lanceurs d’alerte. Il propose par ailleurs des conférences, des discussions live avec certains lanceurs d’alerte par thématique et publie le Whistleblower’s Handbook, ouvrage très complet rédigé par un avocat spécialisé dans la défense des lanceurs d’alerte
Même si les États-Unis vantent leur modèle démocratique partout dans le monde, la justice est intraitable avec ceux qui brisent la loi du silence concernant des dysfonctionnements du gouvernement. La situation de Julian Assange n’en est que révélatrice de cette violence. (...)