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Mediapart
Classement scientifique : la ministre de la recherche prise au piège de l’hydroxychloroquine
Article mis en ligne le 18 septembre 2021

Frédérique Vidal s’est félicitée que deux publications scientifiques françaises figurent parmi les dix plus citées au monde durant la crise sanitaire. Celle sur l’hydroxychloroquine de l’équipe de Didier Raoult en fait a priori partie. Cette sortie révèle combien les « citations » sont devenues l’alpha et l’oméga de l’évaluation.

« La France est une grande nation scientifique : parmi les dix publications scientifiques les plus citées au monde pendant cette crise [sanitaire –ndlr], deux étaient françaises », a osé Frédérique Vidal, lundi dernier, au micro de BFM Business. Problème : parmi les deux articles français les plus cités durant la pandémie, on trouve un article de l’équipe de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine (cité plus de 4 800 fois), alors que beaucoup chercheuses et de chercheurs y ont pointé de grosses erreurs. (...)

C’est peu dire que cette jubilation ministérielle, reprise sur son compte Twitter, a fait réagir cette semaine beaucoup de scientifiques. Frédérique Vidal a dû « préciser » depuis qu’elle n’aurait pas voulu faire référence au classement des publications les plus citées au monde, mais plutôt à une sélection subjective de la revue Nature (sans Didier Raoult)… Quoi qu’elle dise, cette déclaration est bien le symbole, poussé jusqu’à l’absurde, d’une politique de l’enseignement supérieur et de la recherche pilotée, depuis plusieurs mandats présidentiels, via des classements et des « indices de citations », très contestés dans le milieu. (...)

Plus un article est cité, plus il permet à la recherche de rayonner, est-on prié de croire. Cette vision de l’évaluation de la recherche guide désormais les choix, en grande partie, des instances de financement, à l’image de l’Agence nationale de la recherche (ANR), aux portes desquelles les chercheuses et les chercheurs doivent taper pour obtenir des fonds. La « loi de programmation de la recherche » promulguée en décembre 2020 a encore renforcé le rôle et les subsides de l’ANR au détriment des financements récurrents des laboratoires, dont la part se réduit de plus en plus dans le budget de la recherche. (...)

Pourtant, les scientifiques ont rapidement mesuré les limites au fait d’indexer les financements et la mise en valeur de la recherche au nombre de citations de leurs articles. D’abord, parce que les disciplines qui ne publient traditionnellement pas dans des revues très citées, comme les sciences humaines et sociales ou l’informatique, sont désavantagées. Mais aussi parce qu’un article peut être de très bonne qualité et apporter un éclairage scientifique très original sans avoir été publié dans une revue dont l’indice de citation est très élevé.

De façon plus problématique encore, des articles de qualité très contestée par les pairs des autrices ou des auteurs peuvent être extrêmement cités comme ce fut le cas, précisément, avec l’article de l’équipe de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine.

Enfin, cette course aux citations incite certains chercheurs à trafiquer le processus de relecture des articles pour attirer les financements. C’est le cas, par exemple, du bioinformaticien Kuo-Chen Chou qui a suggéré massivement, en tant que relecteur, la citation de ses propres articles scientifiques (parfois plus de 50) pour devenir le chercheur le plus cité au monde avec 58 000 citations pour 602 articles… (...)

Si l’évaluation de la recherche par le biais des citations est problématique, l’utilisation massive des différents classements internationaux comme seul gouvernail politique l’est tout autant – pour la recherche comme pour l’enseignement supérieur. S’appuyant sur ces fameux indices de citations et sur le nombre de prix Nobel et de médailles Fields, le fameux classement de Shanghai favorise mécaniquement les universités les plus grosses. Frédérique Vidal et ses prédécesseurs l’ont bien compris, qui ont poussé très activement les universités à fusionner afin qu’elles montent mécaniquement dans les classements internationaux – on peut également citer le palmarès du « Times Higher Education » (THE).

La ministre l’a avoué elle-même dans une interview au Figaro en août dernier (...)

Pourtant, en juillet dernier, lors de l’annonce du nouveau plan « Science ouverte », censé tirer quelques leçons de la pandémie, la ministre semblait vouloir se diriger vers une évaluation plus saine de la recherche avec l’engagement de « réduire l’influence du facteur d’impact des revues, en commençant par supprimer toutes les références à cet indicateur et au H-index [reflétant le nombre de publications et de citations d’un chercheur –ndlr] dans les textes d’appels à projets et les formulaires de candidature ». Elle appelait à la cohérence des politiques scientifiques sur le sujet. Peut-être que Frédérique Vidal devrait commencer par supprimer ses références dans ses propres déclarations de rentrée.