
Aujourd’hui, stocker les céréales demande de grandes quantités d’énergie, voire de pesticides. Pourtant, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les paysans savaient les conserver sous terre, sans oxygène. Une technique que des archéologues tentent de reconstituer.
pendant que certains s’affairent à un atelier torchis pour boucher le premier orifice, d’autres déversent de la terre dans le deuxième, tandis qu’une équipe se prépare à remplir un troisième de céréales. Nous sommes ici sur un chantier d’archéologie « expérimentale ». Dans le sol de ce terrain situé à Alénya, non loin de Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales, cinq silos ont été creusés afin de comprendre comment les céréales y étaient stockées. Une entrée étroite et circulaire, des parois concaves, un fond plat et large : ils ont, en quelque sorte, la forme d’abat-jours et peuvent contenir chacun 600 litres de denrées alimentaires. (...)
Les traces de conservation de céréales dans des silos enterrés sont très anciennes. « On en retrouve dès le début du néolithique, puis cela s’est développé dans toutes les cultures qui ont pratiqué l’agriculture, à toutes les périodes, sur quasiment tous les continents (...)
Certaines sources retrouvées par les chercheurs affirment que le grain pouvait, grâce à cette technique, être conservé jusqu’à sept ans, et garder ses qualités nutritives et germinatives. Ainsi, à des époques où les flux du commerce de céréales étaient moins développés qu’aujourd’hui, cela permettait d’accumuler les bonnes années, afin d’anticiper les mauvaises. Probablement que la capacité à conserver une récolte un an et plus était une question de survie. « On veut reconstituer ce savoir-faire paysan multimillénaire », poursuit le chercheur. (...)
Ces découvertes ont suscité beaucoup de questions. Pourquoi autant de silos au même endroit ? Qui s’en occupait : les paysans, le seigneur, l’Église ? Tous n’étaient pas en permanence remplis : comment s’organisait la rotation ? Qu’est-ce qui était stocké dans ces silos ? Des céréales, certes, mais y avait-il aussi des légumineuses ? Ce blé avait-il une utilisation différente de celle du blé stocké dans les greniers aériens ? Était-il plus ou moins apte à faire du pain ? Et surtout, comment les céréales pouvaient y être conservées sans s’altérer ? (...)
Les archéologues n’ont même pas réussi à éclaircir le mystère de la disparition de cette technique. Ils n’ont que des hypothèses (...)
les silos enterrés sont-ils l’avenir du stockage des céréales ? En partie. « Je ne vais pas me mettre à creuser des silos, reconnaît Jacques Baboulène. Mais on ne sait jamais, si l’énergie n’était plus aussi facilement disponible ? Ce qui m’importe, c’est que cette technique ne soit pas perdue », assure le paysan.
« Si on comprend comment ça fonctionne, on pourrait le reproduire, non pas en silos enterrés, mais avec des technologies modernes », ajoute Francis Fleurat-Lessart. Même les archéologues espèrent ne pas répondre qu’à des questions historiques : « On nous dit souvent “vous les archéologues, vous êtes dans le passé”, mais on peut avoir des solutions très pratiques à des problèmes contemporains très concrets », croît Eric Yebdri.