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Cédric Herrou pour le respect du droit des migrants : "J’aime aller en procès car en général on est écouté"
Article mis en ligne le 18 octobre 2020

Cédric Herrou, l’agriculteur de la vallée de la Roya, plusieurs fois attaqué en justice pour avoir porté assistance à des migrants, raconte dans "Change ton monde" (Les liens qui libèrent), son parcours depuis 2016. Pour lui "l’État s’est senti acculé" dans la gestion de l’aide aux exilés. Entretien. (...)

De Cédric Herrou, on sait qu’il est le poil à gratter de la machine judiciaire sur la question de l’accueil des migrants. Ce maraîcher de la vallée de la Roya, encaissée aux confins des Alpes-Maritime et de l’Italie, était, il y a un certain temps, un jeune homme assez agacé par les inégalités sociales et les difficultés de trouver sa place dans le monde, au point qu’il avait finalement choisi de cultiver son jardin et n’avait pas spécialement envie qu’on vienne l’y déranger. 
À titre personnel, il a hérité d’une tradition de famille d’accueil, puisque sa mère travaillait pour la protection de l’enfance. Tendre la main, c’est une seconde nature chez les siens, mais en 2016 il avait envie "qu’on me laisse tranquille, d’être libre". Son engagement a mûri peu à peu, et avec le recul il dit aujourd’hui "après, on se rend compte qu’on a fui par lâcheté. Au début il y a du doute, je n’avais pas envie de m’emmerder la vie non plus. Mais au nom d’une morale..." Au nom d’une morale, ou bien entraîné par réalité de la souffrance et en côtoyant d’autres personnes de bonne volonté, Cédric Herrou est devenu le Cédric Herrou que le grand public connaît aujourd’hui, celui qui tend la main aux migrants de la vallée de la Roya.

Surpris de découvrir des "réseaux formels ou informels"

Il aime d’abord rappeler que dans son entourage : "On n’a pas attendu qu’il y ait des migrants pour aider les gens en difficulté". Cédric Herrou n’est donc pas le seul dans sa vallée à tendre la main. Lui a été médiatisé
(...)

"Lorsque nous sommes allés montrer le film de Michel Toesca, "Libre" [documentaire consacré à son histoire, NDLR], un peu partout en France, j’ai découvert qu’en fait il y a beaucoup d’associations qui se préoccupent de cela. J’imaginais que personne ne se sentirait vraiment concerné par la migration, or, les salles étaient pleines, les gens sont venus poser beaucoup de questions. Beaucoup agissent dans leur coin, sans bruit. Ils n’ont pas de position politique particulière, ce n’est pas ça qui les intéresse. Ils ne sont pas plus d’ultra-gauche que moi. Quand le pape dit qu’il faut aider les migrants en danger, on ne le traite pas d’ultra-gauche."

Gendarmerie, police et préfecture

La première fois qu’il a fait monter une famille dans sa fourgonnette C15, en 2016 entre Vintimille et Breil-sur-Roya, il ne s’est pas senti investi d’une mission, pas encore. Mais laisser sur le bord de la route femmes et enfants, ou hommes blessés, lui est devenu insupportable. Son exploitation agricole, en pleine nature, devint ainsi un refuge pour ces êtres errants. Des bénévoles sont venus lui prêter main forte. Un système d’entraide s’est mis en place pour distribuer de la nourriture, héberger quelques nuits des personnes avant de les accompagner dans une gare, ou aller présenter les mineurs aux services de l’enfance.
Ce n’est pas sous cet angle que la préfecture des Alpes-Maritimes a apprécié la situation, mais Cédric Herrou n’imaginait pas pour autant devenir le punching-ball des autorités locales. Il a été mis sous surveillance par caméras, arrêté, gardé-à-vue, bref, cette activité lui a valu une vie comparable à celle d’un délinquant ballotté d’un interrogatoire à l’autre. "_Avec mon casier, n’importe quel pays m’accorderait l’asile"_, souligne-t-il ironiquement. Mais ne noircissons pas le tableau, Herrou le reconnait lui-même, "la France, c’est pluriel, c’est pas tout sale en Préfecture et chez les flics, on a aussi travaillé en bonne intelligence". 

Avec les gendarmes mobiles, il affirme avoir "entretenu des très bonnes relations, lorsqu’il acheminait des migrants pour qu’ils aillent prendre un train et régler leur situation. Les gendarmes mobiles, quand on discute avec eux, on s’en sort. _Courtoisie, respect, cela a été notre mot d’ordre_, ça surprenait de voir qu’on n’était pas des énervés."

En revanche il décrit dans son livre le comportement violent des policiers de la PAF (Police de l’air et des frontières), les insultes à son endroit et également à l’égard des policiers de Nice ("Ici on n’est pas les tapettes de la police de Nice"), sans parler du tatouage d’une Croix de fer allemande, décoration préférée de Hitler, remarquée sur le mollet d’un des agents.

Les subtilités du droit et la force de la propriété

Dans les Alpes-Maritimes la loi ne s’applique de la même façon, selon les parquets, les corps de forces de l’ordre, gendarmerie ou Police de l’air des frontières, et ce qui est vrai en gare de Breil ne l’est plus à Cannes, dit Herrou dans son livre.
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Ces multiples rendez-vous devant les tribunaux ont fini par obliger la justice à préciser ses intentions sur la manière de juger l’accueil de migrants par les citoyens. Le 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel consacre ainsi "le principe de fraternité" (...)

Cédric Herrou s’inquiète toutefois de voir que le tribunal de Lyon a récemment requis (le 23 septembre dernier) cinq mois de prison avec sursis contre un chercheur qui a aidé trois Érythréennes. "Ils sont toujours sur la même posture, c’est inquiétant de ne pas changer de position, alors que normalement, ils doivent faire du droit", estime l’agriculteur.
Le militant considère que "l’État n’assume pas qu’il est dans l’illégalité. Du coup, ça devient un débat pour ou contre la migration". Et Cédric Herrou de renchérir en faisant remarquer qu’il finit par gagner ses procès parce que ces avocats "lisent les textes, tout simplement, que ce soit la convention de Genève, les accords de Schengen, etc. Et finalement on essaie de me condamner parce qu’on se sert des failles. Ma lecture c’est qu’ils ont voulu condamner des gens qui voient les failles, et mettent l’État en péril."

"L’État s’est senti acculé. Ils ne sont pas habitués à du contre-pouvoir qui vient avec de la proposition."

est grâce à des dons qu’il peut financer ses frais d’avocat et de justice. Et il ajoute, que s’il y a beaucoup de Cédric Herrou partout en France, invisibles, silencieux, mais efficaces dans leur secours, il y a en a aussi en prison, "car qui n’a pas les moyens, ou qui n’est pas assez éduqué ou assez blanc et socialement inséré, celui-là se fera coffrer direct et personne ne l’aidera".
Aujourd’hui, il attend sans grande inquiétude que la cour de Cassation confirme sa relaxe dans l’affaire du squat des Lucioles, une ancienne résidence de vacances de la SNCF investie par un collectif d’associations pour loger des personnes en exil.